Zimbabwe : des chasseurs de réseau sur des collines pour passer un coup de fil

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Au soleil couchant sur les splendides rochers en équilibre du parc national de Matobo au Zimbabwe, des garçons jettent des pierres pour faire déguerpir les babouins: ils veulent être tranquilles pour chercher du réseau. Silozwe, village situé à moins de 50 km de Bulawayo (sud), deuxième ville du pays, est un trou noir en matière de connexion mobile. Les processions quotidiennes des chasseurs de réseau sur les collines de Matobo sont un pèlerinage obligé pour passer un coup de fil, envoyer un message ou consulter les réseaux sociaux. «A mon âge, j’ai du mal à monter. Et je n’arrive pas toujours à me connecter», râle Sakhile Sibindi, 60 ans, une grand-mère qui parcourt cinq kilomètres à pied depuis sa maison pour se rendre sur le site. Les problèmes de réseau en milieu rural ne sont pas propres au Zimbabwe. Un tiers de la population mondiale, soit 2,6 milliards de personnes, n’a pas accès à internet, selon l’ONU, qui vise 2030 pour une «connectivité globale». En Afrique sub-saharienne, une personne sur quatre utilise un téléphone mobile pour aller en ligne, mais 15% vivent dans des zones sans couverture, selon l’Association mondiale des opérateurs télécoms (GSMA). Les collines de Matobo apportent une solution aux habitants de Silozwe, même si pas toujours fiable. Et c’est sans compter les oreilles indiscrètes: «Les histoires de famille finissent par être connues de tout le village», raconte Sakhile Sibindi. Le site classé au patrimoine mondial de l’Unesco, célèbre pour ses rochers caractéristiques, n’est par ailleurs pas facile d’accès. «Si quelqu’un tombe malade la nuit, vous ne pouvez pas venir ici pour passer un coup de fil. Et si c’est un décès, vous resterez avec le cadavre dans votre maison», poursuit Mme Sibindi. Certains font preuve d’ingéniosité. Des téléphones portables sont suspendus à des bâtons dans les cours des maisons ou attachés à des branches d’arbres pour tenter d’attraper un peu de réseau. Anna Tiyo, 42 ans, a construit sous un arbre une antenne de fortune sur un vieux baril de métal, pour appeler son mari qui travaille en Afrique du Sud voisine. «Je marchais à travers champs en plein soleil et j’ai fait une pause sous cet arbre. Je regardais des vidéos sur mon téléphone», se souvient-elle, «quand des messages WhatsApp ont commencé à arriver. C’est comme ça que j’ai trouvé ce coin avec du réseau». Les moins chanceux demandent aux chauffeurs de bus de transmettre leurs messages écrits ou oraux. Dans le pays d’Afrique australe plongé depuis plus de 20 ans dans une grave crise économique, les problèmes de réseau n’aident pas. Bukhosibethu Moyo, entrepreneur en bâtiment de 29 ans, explique perdre des clients car il ne peut ni les appeler, ni recevoir de paiements en ligne. «La plupart disent qu’ils n’arrivent pas à me joindre pendant des jours», déplore-t-il, avant d’ajouter: «Ils finissent par engager des personnes en ville, joignables facilement». Plus de 97% de la population de 16 millions est pourtant équipée d’un téléphone portable. Et plus de 14,5 millions d’abonnements sont actifs dans le pays, selon l’Autorité de régulation des postes et des télécommunications. Mais le gouvernement reconnaît que les problèmes de connexion persistent en zones rurales et promet des investissements. Vantant «un réseau de fibre optique de pointe» et «un plan directeur pour un Zimbabwe intelligent», le ministre de la Communication Tatenda Mavetera a promis en mars sur X que le pays deviendra «une puissance numérique». Mais les progrès sont lents et les villages continuent à se sentir délaissés. «Nous faisons partie de ce pays et nous méritons d’avoir accès aux mêmes opportunités que les habitants des zones urbaines», revendique Mme Tiyo. Sollicité, le ministère de la Communication n’a pas donné suite.