Un atelier d’écriture pour concocter «Un village français»

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Ils sont sept scénaristes autour d’une table, échangeant des idées à la volée. C’est là, dans un bureau parisien, que s’élabore au sein d’un atelier d’écriture la série historique «Un village français», dont la saison 5 est diffusée actuellement. «Revenons sur les différentes storylines (trames narratives, ndlr) pour voir s’il y a des choses à creuser», lance Frédéric Krivine, le directeur d’écriture de la série, qui se déroule dans une petite sous-préfecture fictive du Jura pendant la Seconde Guerre mondiale. Cet auteur de 54 ans avait déjà supervisé l’atelier d’écriture de «P.J.», diffusée sur France 2 entre 1997 et 2009. Il est, avec le producteur Emmanuel Daucé et le réalisateur Philippe Triboit, l’un des 3 créateurs de la série, sur France 3 depuis 2009. Saluée récemment par le prestigieux «New York Times» comme l’une des «excellentes séries» françaises, elle a rassemblé près de 3,8 millions de téléspectateurs l’an dernier. Sa 5ème saison, diffusée depuis début octobre, en réunit un peu plus de 3,4 millions. Sur la table, un livre sur «l’épuration française» entre 1944 et 1949. Réunis plusieurs fois par semaine pour décider des rebondissements des derniers épisodes de la saison 6, avec pour sujet l’année 44 et la Libération, les auteurs font part de leurs interrogations et suggestions, prennent des notes et plongent au coeur des intrigues. «Ce n’est pas tout à fait clair», lance l’un d’eux, à propos d’une scène. «Comment faire dans le timing ?», s’interroge un autre. Que va-t-il arriver aux personnages, Antoine, Jean ou Suzanne dans telle ou telle scène ? Tel événement est-il crédible historiquement et psychologiquement ? Comment bien intégrer dans l’histoire procès et autres règlements de comptes ? Les questions se succèdent. «Un atelier d’écriture, c’est une machine à produire de la dramaturgie, des liens, des rebondissements, des destructions de lien, qui couche avec qui, qui va trahir, pourquoi, comment… Cela fonctionne beaucoup sur le mode du ressassement», explique Frédéric Krivine. L’atelier se réunit pendant 2 ou 3 mois, une fois le sujet principal de la saison choisi. Les auteurs se séparent ensuite pour aller écrire des «séquenciers» d’épisodes, versions simplifiées du scénario, avant l’élaboration de versions dialoguées, écrites ou lissées par Frédéric Krivine. Pas de temps à perdre: «Un village français» est diffusé presque au rythme d’une saison par an, une performance en France. Le tournage de la saison 6 doit commencer début 2014.  L’historien Jean-Pierre Azéma, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, en est le conseiller historique. L’atelier s’adjoint aussi depuis la saison 3 les services d’une consultante en psychologie, Violaine Bellet, qui aide à creuser les personnages pour leur donner plus d’épaisseur. Loin d’être encore très développé en France, ce fonctionnement en atelier, qui est la norme aux Etats-Unis, reste moins efficace quand il s’agit d’écrire des dialogues au ton unifié, de «donner la forme narrative», relève Frédéric Krivine. «On n’y arrive pas parce qu’on n’a pas assez de séries de 1ère partie de soirée feuilletonnantes à prétention d’auteur en France», qui permettraient aux scénaristes d’être plus rodés à l’exercice, analyse-t-il. Aux Etats-Unis, «cela fait réellement 60 ans qu’ils font des dizaines de séries en ateliers d’écriture». Les auteurs travailleront encore l’an prochain sur l’ultime saison qui abordera la reconstruction du village après la guerre.