Snapchat cultive son image d’appli joyeuse et bienfaisante

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Snapchat, le réseau social très populaire chez les adolescents, cultive son image d’application joyeuse et bienfaisante, pour se démarquer d’Instagram, TikTok et autres plateformes décriées pour leur impact sur la santé mentale des jeunes. Sans convaincre tout le monde. «Quand nous avons lancé Snapchat, nous voulions quelque chose de différent. Nous n’aimions pas les réseaux sociaux (existants)», a déclaré mardi Evan Spiegel, patron de Snap. Lors de la conférence annuelle du groupe à Santa Monica, il a rappelé comment son entreprise avait lancé les vidéos verticales ou, en 2013, les «Stories» qui disparaissent en 24 heures, largement copiées depuis. «Pas de «likes» ou de commentaires, vous partagez votre perspective», a-t-il insisté. «Et ça marche. Plus de 850 millions de personnes utilisent Snapchat (tous les mois, ndlr) et on continue de croître». Mais l’appli a beau être devenue le moyen de communication principal de très nombreux adolescents, elle n’est toujours pas rentable et reste dans l’ombre des géants Meta, Google et TikTok. Une position qui a ses avantages: Snapchat passe souvent pour le bon élève aux yeux des autorités, associations et parents inquiets des conséquences néfastes des réseaux sociaux sur la jeunesse. «Nous avons constaté que le temps passé sur TikTok, Instagram et YouTube a un impact négatif sur (…) la santé mentale. À l’inverse, le temps passé sur Snapchat a eu un effet positif sur les relations amicales et le bien-être, mais n’a pas d’impact significatif sur l’estime de soi», ont conclu des chercheurs de l’Université d’Amsterdam dans une étude citée récemment par Evan Spiegel. «C’est l’appli la moins nocive», abonde Adriana Vecchioli, créatrice de contenus. Elle évoque la pression que ressentent particulièrement les jeunes femmes «à avoir l’air jolies, plutôt qu’à être soi-même» et apprécie que, sur Snapchat, les selfies «disparaissent»: «Cela donne plus de liberté». Pour Matthew Bergman, qui a fondé une organisation de défense des «victimes des réseaux sociaux» en justice, l’absence de stockage des messages facilite au contraire des activités criminelles, telles que l’échange d’images pédopornographiques ou la vente de drogues. «Imaginez que vous avez une salle de jeux vidéo et vous savez que des trafiquants utilisent une pièce à l’arrière pour vendre des substances illicites aux enfants. Vous seriez responsable. Vous ne pourriez pas fermer les yeux sur des activités dangereuses promues par votre plateforme», considère l’avocat. Son organisation représente «180 parents dont les enfants sont morts d’un empoisonnement au fentanyl (opiacé, ndlr) à cause de médicaments contaminés achetés sur Snapchat». Dans plus de 25 pays, les trois quarts des jeunes âgés de 13 à 34 ans utilisent Snapchat. Lily, 14 ans, n’envoie des textos qu’à sa famille ou à ses amis «très proches». Pour tous les autres, elle se sert du réseau social, «parce qu’il n’est pas toujours nécessaire de parler», explique-t-elle. «On peut aussi simplement envoyer des photos, ça met moins la pression». Elle aime aussi les filtres de réalité augmentée et les jeux, et balaie le problème des acteurs mal intentionnés. «C’est vrai qu’il y a des gens bizarres, qui essaient de vous ajouter dans leurs contacts, de vous parler et autre, mais bon je les bloque systématiquement», détaille-t-elle. Ses parents ne lui ont pas encore donné le droit d’aller sur Instagram. Pour Matthew Bergman, l’appli au fantôme ne se distingue pas des autres. «Toutes ces plateformes ont le même modèle économique, qui consiste à capter l’attention des utilisateurs au maximum, au détriment de leur sécurité», accuse-t-il. «Elles ont toutes recours aux mêmes méthodes pour rendre les enfants dépendants de leur service». «Au bout du compte, Snap, comme Meta, est une entreprise», commente Jasmine Enberg, analyste chez Emarketer.