Pourquoi tant de séries françaises semblent si fades face aux américaines et européennes? Parce que les grandes chaînes ont des années de retard dans ce domaine et encore peur d’innover, estiment des professionnels alors que s’ouvre jeudi le Festival de fiction TV de La Rochelle. S’il n’existe pas de «House of Cards» ou un «Homeland» à la française, plutôt qu’Alice Nevers et Joséphine, c’est d’abord à cause du faible nombre de séries produites dans l’Hegaxone, ce qui conduit à privilégier toujours le genre le plus commode: le policier. «Nous avons un énorme retard dans les séries, en qualité et en quantité», par rapport aux grands pays européens, commente Emmanuel Daucé, producteur chez Tetra Média («Un Village français», «Les Hommes de l’Ombre»…). Toutefois, note-t-il, «cette situation a évolué très récemment: France TV veut augmenter le nombre des séries». «C’est un facteur culturel en France, lié à la toute-puissance du cinéma. La télévision n’est pas un endroit où on pense que la culture peut s’épanouir. Les gens de talents veulent faire du cinéma, pas des séries télé», juge-t-il. Pour ce producteur, il ne s’agit pas d’un manque d’argent. «Il y a des séries scandinaves ou européennes sans grands moyens», comme la saga politique danoise «Borgen». «Ce qui nous manque est le savoir-faire. Il nous faut des auteurs de télévision qui n’ont pas le fantasme du cinéma, qui soient avant tout de grands scénaristes. Nous avons très peu de véritables show-runners». Au final, d’après lui «Les producteurs n’ont en fait que 2 clients : TF1 et France TV, qui représentent 90% des investissements. Arte, Canal+ et M6 produisent très peu. Les chaines de la TNT n’en produisent pas. En Angleterre et en Allemagne, davantage de chaînes font de la fiction et en Scandinavie il y une politique délibérée de création». Même sentiment chez Carole Villevet, chargée de la compétition européenne au festival de La Rochelle. «Il n’y a pas d’univers fort dans les séries françaises: elles ne vont pas très loin dans les personnages, on explique toutes les actions, les histoires ne sont pas très compliquées, le jeu des comédiens est convenu, tout est lissé…», déplore-t-elle. «Mais les choses bougent, nous avons une nouvelle génération de jeunes producteurs élevés au web ou qui viennent du documentaire», ajoute-t-elle en citant Calt, Elephant ou Hugo Films. Une piste d’explication: les séries françaises veulent séduire largement le public des grandes chaînes, qui est âgé. «Aucune série ne vise les gens de 25 ou 30 ans. Nous avons des chaînes de télévision type hypermarché, nous n’avons pas l’équivalent en télé de commerces de proximité pour un public ciblé», remarque M. Daucé. «On ne peut pas complètement innover en Prime Time sur les grandes chaînes publiques, on doit faire des choses pour le plus grand nombre, pas pour des niches, comme Arte ou Canal+», plaide Christophe Nobileau, président de Telfrance qui produit le feuilleton «Plus belle la vie». «On essaie d’innover, avec des traitements différents, des personnages très caractérisés», argue-t-il en citant «Le Sang de la vigne», «Candice Renoir», ou «La Source», nouvelle série de France 2. «Mais la France a une dizaine d’années de retard, il faut que les metteurs en scène de cinéma à univers viennent aux séries». Economiquement, une chaîne a plus intérêt à acheter une série étrangère qu’à en produire une. La fiction étrangère a encore accru sa place l’an dernier, avec 506 soirées, les deux-tiers du total des soirées des grandes chaînes françaises, selon le CNC.