S. GRANET (TF1 PUB) : «L’audio description, c’est une question d’inclusion, pas seulement de technique»

Malgré une technologie maîtrisée depuis plus de 40 ans, moins de 3% des spots diffusés sur TF1 sont aujourd’hui accessibles aux personnes aveugles ou malvoyantes. Pourquoi un tel écart ? Quels leviers pour accélérer le mouvement ? Sébastien GRANET, chef de groupe Marketing Innovation & RSE chez TF1 PUB, revient sur les enjeux, les freins persistants et les initiatives engagées pour une publicité plus inclusive.

En 2024, seulement 2,6% des plus de 12.000 spots publicitaires diffusés sur les antennes de TF1 étaient adaptés en audio description. Comment expliquer un chiffre aussi faible, alors que la technologie est maîtrisée depuis plus de 40 ans ?

C’est avant tout une question de méconnaissance de la part des annonceurs. Quand on interroge certains clients, ils nous disent souvent : «Je pensais que c’était déjà fait automatiquement, que mon agence livrait un spot adapté, sous-titré, audio décrit.» Ce n’est donc pas un manque de volonté, mais plutôt un manque d’information. D’où l’importance de notre travail de pédagogie : si l’annonceur ne nous fournit pas un fichier audio décrit, sa publicité ne sera tout simplement pas accessible aux téléspectateurs qui ont activé cette option sur leur téléviseur.

Vous affirmez aussi qu’il n’y a aucun surcoût technique lié à la diffusion d’un spot audio décrit. Ce message est-il bien entendu dans l’écosystème publicitaire ?

Pas encore suffisamment. Cela fait deux ans que nous portons ce message plus fermement, et la progression reste lente. On commence néanmoins à sentir un frémissement côté annonceurs, notamment grâce à d’autres acteurs du marché qui s’emparent aussi du sujet, comme l’Union des marques, qui vient de publier un guide open source sur l’audio description et le sous-titrage publicitaire. Plus nous serons nombreux à porter cette parole, plus elle aura de poids.

Justement, qui prend en charge les éventuels surcoûts ?

La diffusion elle-même ne coûte rien de plus à l’annonceur, il n’y a ni frais techniques ni majorations. En revanche, il y a un coût de production supplémentaire pour l’audio description : il faut rédiger un script, enregistrer une voix off, etc. Mais ces prestations sont relativement abordables : certains prestataires partenaires, comme Pitch ou AdStream, proposent ce service à partir de 500 €, ce qui reste modeste à l’échelle d’une campagne publicitaire.

Quel rôle joue TF1 PUB pour accompagner les annonceurs dans cette démarche d’accessibilité ? 

D’abord, TF1 en tant que diffuseur s’engage à rendre ses programmes accessibles. 100% des programmes sur TF1 et TMC sont sous-titrés, et nous audio-décrivons plus de 200 programmes par an, principalement des fictions. Concernant la publicité, c’est un peu différent : nous ne pouvons pas proposer une prestation d’audio description à la place des annonceurs. C’est leur création, leur message, leur choix éditorial. En revanche, nous les guidons, nous leur indiquons vers qui se tourner, et surtout, nous valorisons ceux qui font l’effort.

C’est le cas avec les écrans dédiés du samedi soir sur TF1 ?

Exactement. Chaque samedi, nous diffusons trois écrans publicitaires spécialement réservés aux spots audio décrits, précédés d’un jingle de six secondes qui informe le public que les publicités à venir sont disponibles en audio description. L’objectif est double : alerter les téléspectateurs concernés, mais aussi mettre en valeur les marques engagées. Et ça fonctionne : environ la moitié des annonceurs qui nous livrent une copie audio décrite choisissent d’intégrer ces écrans.

Ce rendez-vous du samedi soir pourrait-il s’étendre à d’autres jours ou formats ?

Pourquoi pas ! Ces écrans font partie de notre stratégie plus globale autour des «impact screens», qui valorisent des campagnes thématiques comme le Made in France, la consommation responsable, ou l’économie circulaire. Si la demande augmente, on pourra naturellement ouvrir davantage d’écrans audio décrits. Tout dépend du volume de copies que nous recevons.

TF1 diffuse déjà plus de 200 programmes audio décrits par an. Envisagez-vous un objectif similaire, chiffré, pour la publicité ?

Pour l’instant, nous préférons rester dans une logique incitative plutôt que coercitive. Nous valorisons les bons élèves, nous accompagnons le marché. Mais oui, en interne, nous réfléchissons à fixer un jour des obligations plus fermes. Nous ne voulons pas jouer le rôle de «police de l’accessibilité», mais plutôt celui d’un acteur facilitateur et moteur. Cela dit, vu le retard actuel, il est probable que nous devions, à terme, prendre des mesures plus fortes.

Au-delà de l’audio description, quels sont selon vous les prochains chantiers à mener pour rendre la publicité plus inclusive et accessible ?

Il y a plusieurs axes. D’abord, le contenu en lui-même : nous valorisons de plus en plus les campagnes qui mettent en avant des produits ou services engagés – produits labellisés, réparables, reconditionnés, etc. Ensuite, sur le plan technique, nous voulons étendre l’accessibilité aux supports digitaux. Aujourd’hui, sur TF1+, les programmes peuvent être audio décrits et sous-titrés, mais pas encore les publicités. Il y a encore des verrous technologiques à lever, mais nous y travaillons activement. Enfin, nous expérimentons des solutions plus globales pour d’autres formes de handicap. Par exemple, sur TF1+, nous avons mis en place une technologie développée avec la société Facility qui permet aux internautes d’adapter l’interface selon leurs besoins : dyslexie, daltonisme, troubles moteurs, etc. C’est un module qui ajuste les couleurs, la taille des caractères, ou la navigation en fonction du profil de l’utilisateur. Cela va bien au-delà de la vision ou de l’audition, et c’est une manière de rendre la plateforme vraiment inclusive.