Le magnat chinois de l’internet Jack Ma est en pourparlers pour racheter le «South China Morning Post» de Hong Kong: si l’affaire se concrétise, le journal chancelant pourrait y gagner financièrement mais perdre de son indépendance, disent les analystes. Depuis sa création en 1903, ce quotidien en langue anglaise offre à ses lecteurs un regard de connaisseur sur la colonie britannique, rétrocédée à Pékin en 1997, et sur la Chine elle-même. Mais comme ailleurs dans le monde de la presse, le SCMP souffre d’une dégringolade de ses recettes publicitaires et de son incapacité à s’adapter aux nouvelles technologies. Ses ventes comme ses bénéfices se sont évaporés. La confiance du lectorat s’est également érodée à mesure que la ligne éditoriale basculait du côté de Pékin. Le mastodonte Alibaba est en négociations pour acheter l’activité médias du groupe SCMP, a dit une source proche du dossier. «Je pense que c’est un coup intelligent de la part de Jack Ma», le fondateur d’Alibaba, commente l’analyste financier Jackson Wong. «Il a des tonnes de trésorerie et il sait parfaitement comment gérer une affaire en Chine», dit-il. Jack Ma a fondé Alibaba en 1999. Le groupe, souvent décrit comme l’équivalent en Chine d’eBay ou Amazon, domine le marché du e-commerce avec sa plateforme Taobao, qui contrôle 90% du marché chinois des transactions de particulier à particulier. La compagnie cherche à se diversifier. En 2014, elle s’est lancée dans le cinéma avec l’achat de ChinaVision Media, rebaptisé Alibaba Pictures. Elle va acquérir la plus grande plateforme chinoise de vidéos sur internet, Youku Tudou, et lancer un service de vidéos à la demande calqué sur l’américain Netflix. Jack Ma semble désormais se tourner vers le monde des médias traditionnels, comme d’autres grands de l’internet. Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, géant américain de la distribution en ligne, a acquis le «Washington Post» en octobre 2013. En 2012, Chris Hugues, cofondateur de Facebook, a pris le contrôle du magazine «New Republic», fleuron de la presse américaine de centre gauche. Certains s’inquiètent de la possibilité de voir s’effriter encore davantage l’indépendance éditoriale du SCMP, comme c’est déjà le cas depuis 1993, date de son rachat par le milliardaire malaisien Robert Kuok qui a de nombreux intérêts en Chine. «Le journal est progressivement devenu pro-Pékin. Je crois que la tendance va se poursuivre», estime Willy Lam, de l’Université chinoise de Hong Kong. «Ma a des liens serrés avec le gouvernement. Je suis sûr qu’il ne voudra pas d’articles gênants dans le SMCP», dit-il. «J’ai été viré parce que Robert Kuok n’appréciait pas ce qu’il considérait comme un point de vue extrêmement critique sur la politique chinoise», ajoute Willy Lam, ex-rédacteur en chef du SCMP entre 1989 et 2000.
De nombreux médias de Hong Kong sont aujourd’hui influencés par des actionnaires chinois. «Ces dernières années, ils ont renforcé leur contrôle sur les médias de Hong Kong, tout doucement mais sans relâche», explique Willy Lam. «Si le «Post» ou un autre grand média devient le porte-voix de la propagande, il perd sa valeur», qui tient à sa déontologie journalistique, souligne-t-il. Le rédacteur en chef actuel du SCMP, Wang Xiangwei, a déjà été accusé d’avoir muselé son journal pour complaire à Pékin, sur fond d’inquiétudes croissantes que Hong Kong perde ses libertés, y compris la liberté de la presse. Pour l’analyste des médias To Yiu-ming, la reprise du groupe par Alibaba confirmerait un recul pour Hong Kong.