Quincy Jones, légende de la musique américaine

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Il a jammé avec Ray Charles, dirigé Frank Sinatra, produit Michael Jackson et lancé Will Smith: Quincy Jones, qui est mort à 91 ans, était une légende de la musique américaine. «Merci de laisser votre ego à la porte!». L’aura de «Q» était telle qu’il pouvait se permettre d’accueillir par ses mots Bob Dylan, Tina Turner ou Stevie Wonder. On est en 1985 et le producteur a la lourde tâche de faire chanter ensemble une trentaine de stars au sein du «supergroupe» «USA for Africa». «We are the world», chanson caritative pour la lutte contre la famine en Ethiopie, sera un des 45 tours les plus vendus de l’histoire, avec plus de 20 millions de copies écoulées. Quincy Jones est alors au faîte de sa gloire. Le chemin parcouru est immense pour le musicien né dans les bas-fonds de Chicago, le 14 mars 1933. Il est très jeune quand sa mère, schizophrène, est internée dans un asile psychiatrique. Son père, charpentier, obtient le divorce et déménage à Seattle, où il fonde une nouvelle famille. Le jeune Quincy s’imagine un destin de gangster quand, à 11 ans, il touche pour la 1ère fois un piano. «J’ai joué une seule note et cela a changé ma vie». Il se met au trombone, à la trompette et commence à écumer les boîtes locales. A 14 ans, il y rencontre Ray Charles, de 2 ans son aîné. «Il fallait jouer toute la variété de l’époque, le rythm’n blues, la musique des strip-tease, la polka… Après, on se retrouvait entre nous et on jouait du be-bop toute la nuit. J’essayais de tout faire sonner be-bop et Ray disait «non, tu dois accepter la musique pour son âme profonde». Ça a été une bénédiction», racontera-t-il dans ses mémoires. Une ouverture d’esprit que lui enseigne également la célèbre pianiste Nadia Boulanger, quand il s’installe à Paris en 1957. En France, le jazzman, qui a déjà joué avec Dizzy Gillespie, Duke Ellington et Count Basie, rencontre Stravinsky et Messiaen, travaille avec Henri Salvador, Jacques Brel, Charles Aznavour. Plus tard, il collaborera aussi bien avec Nana Mouskouri que Joao Gilberto, ou le maître du tango argentin Astor Piazzolla. Alors que le mouvement des droits civiques bat son plein en Amérique, Quincy Jones découvre en Europe une reconnaissance nouvelle. «Dans les années 50, Paris était une ville fantastique pour les musiciens noirs américains. Ici, contrairement aux Etats-Unis, nous trouvions de la tolérance et de la curiosité pour notre travail». Revenu dans son pays natal, il devient en 1961 le 1er Afro-américain à accéder à un poste de direction dans l’industrie du disque, en prenant la vice-présidence du label Mercury Records. Trois ans plus tard, il compose la musique du film «Le prêteur sur gages» de Sidney Lumet, là aussi une 1ère pour un artiste noir. Il en signera une trentaine d’autres. Parallèlement, il poursuit son travail d’arrangeur et de chef d’orchestre, notamment au côté de Frank Sinatra, dont il devient le collaborateur attitré. L’astronaute Buzz Aldrin emporte même son arrangement de «Fly me to the moon» pour le 1er voyage sur la Lune. En 1978, il fait une rencontre cruciale: Michael Jackson, qui cherche à s’émanciper de l’univers Motown. Quincy Jones entre définitivement dans la légende en produisant ses 3 meilleurs albums : «Off the wall» (1979), «Bad» (1987) et surtout «Thriller» (1982), l’album le plus vendu de toute l’histoire, à plus de 100 millions d’exemplaires. Le trompettiste n’en oublie pas pour autant ses racines. En 1991, il convainc Miles Davis de revisiter ses classiques pour un concert historique au festival de jazz de Montreux (Suisse), dont il assure alors la direction artistique. Quincy Jones, qui a participé à plus de 400 disques, a reçu 28 Grammy Awards de son vivant. Touche-à-tout, il a aussi produit des films («La couleur pourpre» de Spielberg, 1985), des séries («Le prince Bel-Air», qui a lancé Will Smith en 1991), créé «Vibe», un magazine de référence des cultures urbaines et participé à «Qwest TV», sorte de «Netflix du jazz». Mais nommé sept fois aux Oscars pour son travail, il n’a jamais reçu de statuette. Marié à trois reprises, il a eu sept enfants.