Les syndicats attendent un «jugement exemplaire» dans le procès pour «harcèlement moral» de France Télécom et de ses ex-dirigeants, attendu vendredi au Tribunal correctionnel de Paris, dix ans après une vague de suicides dans l’entreprise. SUD-PTT, qui avait le premier déposé plainte en septembre 2009 contre France Télécom, attend «des peines maximales et surtout une évolution de la loi pour durcir les sanctions», a indiqué Patrick Ackermann. France Télécom, devenue Orange en 2013, est la première entreprise du CAC 40 à comparaître pour «harcèlement moral». Il y a dix ans, plusieurs salariés s’étaient suicidés en laissant des courriers accablants contre leur employeur. Le tribunal s’est particulièrement penché sur les cas de trente-neuf salariés, retenus par les juges d’instruction lors de l’enquête: dix-neuf se sont suicidés, douze ont tenté de le faire, et huit ont subi un épisode de dépression ou un arrêt de travail. «Les peines encourues sont légères par rapport aux actes», a estimé Patrick Ackermann. «On espère de la prison ferme, même si ça peut être symbolique compte tenu des aménagements de peines».France Télécom encourt 75.000 euros d’amende. L’ex-PDG Didier Lombard, l’ex-numéro 2 Louis-Pierre Wenès et l’ex-DRH Olivier Barberot, ainsi que quatre autres anciens responsables jugés pour «complicité», risquent un an d’emprisonnement et 15.000 euros d’amende. «Au-delà des peines, il faut aussi discuter de la prévention», souligne Patrick Ackermann. «Les CHSCT (Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions travail) ont été une arme redoutable pour arriver à ce procès, grâce aux expertises. Or les ordonnances Macron ont défait les CHSCT, fusionnés dans les CSE (Comité social et économique). On se demande si le procès France Télécom aurait été possible avec le CSE aujourd’hui». «Les syndicats ont perdu beaucoup de délégués du personnel. A Orange, nous avons perdu 30% de nos droits de délégation et de nos moyens de fonctionnement», ajoute le délégué de Sud. Sébastien Crozier (CFE-CGC) plaide également pour des peines maximales, tout en étant «sans illusion sur leur effectivité: ce n’est pas trois semaines de bracelet électronique, où une peine en cellule VIP qui va les traumatiser». «La condamnation est importante à la fois pour les familles, qui pourront commencer à se reconstruire, et à l’extérieur pour toutes les entreprises qui sont au bord d’avoir les mêmes méthodes», estime-t-il. Il met en garde contre une relaxe qui pourrait «déclencher des crises d’angoisse chez certains salariés». Orange a renforcé la vigilance pendant les fêtes, avec un numéro d’appel et une cellule de veille, explique-t-il. «On a très peur que les fêtes de fin d’années soient très mal vécues, si les peines ne sont pas à la hauteur», craint M. Crozier. «Le harcèlement moral est juridiquement très bordé, les juges pourraient considérer qu’il n’y a pas de lien de subordination direct entre les dirigeants poursuivis et les victimes», explique-t-il. Une condamnation serait «une première», avec «la reconnaissance du caractère systémique du harcèlement, le fait que toute l’organisation est coupable et pas seulement les supérieurs hiérarchiques directs», souligne M. Crozier. Pour la CFDT d’Orange, le jugement doit faire jurisprudence «afin que les dirigeants d’entreprises tentés par ces méthodes de management sachent désormais qu’il n’est plus possible d’agir en toute impunité», selon un communiqué mercredi. De son côté, Orange a décidé de «tourner la page»: son Pdg Stéphane Richard a indiqué sur France Info le 13 décembre que «quelle que soit la décision qu’on connaîtra le 20 décembre prochain, l’entreprise personne morale ne fera pas appel».