Ambiance foot ce samedi dans la salle de cinéma Canal Olympia à Dakar, pour le tournoi «Orange Esport Experience». Devant un public surchauffé de Sénégalais, «Doctor Dexx» et Mohamed Salim Sarr, deux stars des jeux vidéo, pianotent frénétiquement leur manette. Cristiano Ronaldo, Olivier Giroud… les stars du Mondial sont de sortie pour cette compétition virtuelle. Le match est retransmis sur écran géant et commenté par deux fins connaisseurs des performances des challengers du jour. L’univers du jeu vidéo au Sénégal a désormais ses figures emblématiques: des jeunes d’à peine vingt ans, biberonnés à la playstation, qui participent à des compétitions dans toute la sous-région et contribuent à l’essor et à la popularisation de cette industrie. Chez les Thiam, le jeu de foot Fifa est une affaire de famille. Papa Adama, alias Doctor Dexx vient de remporter son 5ème titre de champion du Sénégal à 26 ans. Son petit frère de 19 ans, Mouhamed, Dexx77 sur la toile, est triple champion d’Afrique. «C’est mon père qui m’a offert ma 1ère playstation quand j’avais 11 ans», relate l’aîné, aussi fier de ses lauriers de gamer que de son cursus de futur docteur en pharmacie. La console est loin d’être à la portée de tous, coûtant pour les modèles anciens environ 150.000 francs CFA (230 euros), trois fois le salaire minimum. «Ma mère travaillait la moitié de l’année comme coiffeuse aux Etats-Unis, elle me ramenait les jeux les plus récents», raconte le jeune homme. Aujourd’hui, grâce à sa passion, il assure gagner quelque 3 millions de francs CFA par an, soit 4.500 euros, même si les sponsors restent timides dans l’esport africain. Doctor Dexx s’est donné pour mission d’aider la nouvelle génération. Tous les soirs, il tombe sa blouse de pharmacien et prend sa manette pour former «les idoles de demain». Le Sénégal compte au moins 20.000 pratiquants, selon Sengames, principale association de gamers dans le pays, créée en 2011. «De plus en plus de jeunes gamers amateurs veulent devenir professionnels», constate Mamoudou Soumaré, cadre du principal club, «SOLO Esport», qui regroupe les meilleurs nationaux. «Nos recrues sont salariées et participent à des tournois internationaux», se réjouit Baba Dioum, co-fondateur de ce club et président de Sengames. «C’est une discipline nouvelle qu’il faut structurer, elle est très porteuse pour les jeunes Sénégalais», rappelle Laurent Montillet, directeur délégué de l’Institut français de Dakar, qui a coordonné un tournoi opposant des gamers venus du Sénégal, Niger, Tchad, Burkina Faso et Mali. L’Afrique constitue un terreau favorable à l’industrie de l’esport. Dans son rapport de 2022, Newzoo, qui se présente comme leader mondial de l’analyse du gaming, constate une grande expansion du nombre de joueurs en Afrique. Le continent et le Moyen-Orient cumulent plus de 488 millions de joueurs sur un total de 3,2 milliards à travers le monde, davantage que l’Europe. De meilleures connections internet, un accès plus abordable et une classe moyenne en pleine croissance sont les moteurs de ce boom, selon Newzoo. Pour se faire les dents, beaucoup de joueurs se ruent vers les tournois locaux et gratuits, occasions de se confronter aux meilleurs. Pour l’Orange Esport Experience, plus de 400 compétiteurs étaient inscrits. Selon Mamadou Soumaré, du club SOLO Esport, cet engouement est aussi inspiré par les récentes performances de l’équipe nationale de foot sénégalaise, champions d’Afrique et 8ème de finalistes de la Coupe du monde. Cheikh Thiaw, 20 ans, alias Coldfire Junior, connu parmi les graines de champions, assure que les prestations des vrais footballeurs lui donnent «la niaque pour affronter n’importe quel gamer étranger». Dans le gaming local, le football est le sport roi au milieu du Mortal Kombat et du Street fighting.