L’IA fascine la planète télé à Cannes

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«Magique», «moins cher, plus rapide», montage et doublage automatisés… Les entreprises en pointe sur l’intelligence artificielle sont en opération séduction auprès des professionnels de l’audiovisuel réunis au Mipcom à Cannes, profitant de la frénésie médiatique liée à ChatGPT, sans occulter les craintes du secteur. Installé à un stand tout en sobriété au palais des Festivals, Dimitri Konovalov, directeur du développement commercial de la start-up Dubformer, enchaîne les rendez-vous depuis lundi. «Cela va être un bon marché pour nous», assure le trentenaire, sans chiffrer les contrats qui seront conclus sur la Croisette. Basée à Amsterdam, son entreprise, créée au printemps, propose la traduction automatique de vidéos documentaires ou d’influenceurs, doublées dans 70 langues par des voix artificielles et vérifiées par des humains. La start-up compte déjà parmi ses clients la société britannique Little Dot Studios, qui lui a confié le doublage en espagnol de programmes de faits divers diffusés sur Youtube à destination de l’Amérique latine. «Le prochain défi pour nous, ce serait de parvenir à des doublages plus expressifs et emprunts d’émotions, pour travailler sur des contenus plus complexes, comme des films ou séries de fiction», ajoute Dimitri Konovalov, misant sur l’évolution rapide de la technologie. Lui-même le reconnaît, l’engouement pour l’IA générative (capable de créer du contenu), entraîné par l’arrivée tonitruante il y a un an de ChatGPT, «a attiré l’attention» sur son activité. L’IA n’est pourtant pas un concept nouveau pour l’audiovisuel, rappelle la directrice de l’innovation de France Télévisions, Kati Bremme. Mais après la révolution de la distribution, «où n’importe qui peut diffuser du contenu sur les réseaux sociaux», l’industrie créative en connaît une nouvelle, poursuit-elle. Désormais, «à partir de quelques lignes de texte, n’importe qui peut créer des sons, des images, des scénarios de film, voire des animations de jeux vidéo», ajoute celle qui a animé le premier «sommet» dédié à l’IA au Mipcom. Divers intervenants ont vanté à cette occasion les bienfaits de la technologie, dans un contexte de hausse mondiale de la demande en contenus et de baisse des revenus publicitaires. La jeune pousse française Aive a ainsi présenté son service d’édition et de montage pour adapter automatiquement des vidéos aux réseaux sociaux, ou compiler leurs meilleurs moments en quelques clics. «C’est magique», a promis son cofondateur, Olivier Reynaud. L’entreprise suisse Largo AI entend, elle, guider les producteurs dans leurs choix de scénarios, personnages, castings, etc. pour maximiser leurs chances de réussite. Sans compter Google qui «travaille depuis longtemps sur l’IA», selon Anshul Kapoor, en charge des solutions média chez Google Cloud, citant par exemple sa collaboration avec Fox Sports dans l’archivage de contenus. L’IA est un outil qui n’a «pas vocation à remplacer les gens mais à les rendre plus efficaces», assure Anshul Kapoor, alors que la grève des acteurs et scénaristes à Hollywood a mis en lumière les craintes qui y sont associées. Elle peut résumer des scénarios pour aider à un producteur à en consulter davantage sans manquer un futur succès, a-t-il illustré, insistant sur le caractère «réfléchi» des travaux de Google. La situation actuelle «rappelle l’invention de la photo, dont beaucoup pensaient qu’elle allait tuer la peinture, ce qui n’a pas été le cas», souligne l’artiste Ross Goodwin, le père de Benjamin, l’IA qui a écrit le scénario du court-métrage de science-fiction «Sunspring» en 2016. Difficile toutefois de nier les conséquences à venir sur l’emploi, à l’heure où l’on peut créer une vidéo en moins d’une journée avec des programmes comme Midjourney et D-ID, tandis qu’Heygen permet la traduction et la reproduction en temps réel d’une voix tout en ajustant le mouvement des lèvres. «Nous travaillons avec des traducteurs et linguistes professionnels, et même si la technologie continue de s’améliorer, ce sera toujours en coopération avec des humains», promet Dimitri Konovalov.

Signe des temps, ce dernier a été approché à Cannes par des sociétés de doublage traditionnelles, envisageant selon lui de faire alliance pour satisfaire les nouvelles demandes de leurs clients.