Les Russes abonnés à Telegram craignent le blocage de cette messagerie cryptée

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Les Russes abonnés à Telegram, dont le patron Pavel Durov est poursuivi en France, craignent le blocage de cette messagerie cryptée devenue pour eux la principale source d’information sans censure. Inculpé mercredi par la justice française qui lui reproche de ne pas agir contre la diffusion de contenus criminels sur la messagerie, Pavel Durov s’est vu imposer un lourd contrôle judiciaire l’obligeant à rester en France. Son interpellation fait des vagues tant au Kremlin qu’au sein des forces libérales russes opposées à l’offensive en Ukraine. «Telegram est une messagerie très pratique et fiable pour tous les Russes, indépendamment de leurs opinions politiques», réagit Alexeï Venediktov, patron de l’emblématique radio Echo de Moscou bloquée en Russie après ses critiques de l’intervention en Ukraine. Cette messagerie «est réputée indépendante de l’Etat» russe, explique le journaliste. Figurant dans son pays sur la liste des «agents de l’étranger», M. Venediktov a sa propre chaîne d’information sur Telegram, suivie par plus de 200.000 abonnés. Un éventuel blocage de Telegram équivaudrait pour lui à «une mesure de censure». Conflit en Ukraine, procès politiques contre des opposants, moyens d’éviter la mobilisation… Strictement censurés dans les médias d’Etat, ces sujets sont largement traités par les chaînes Telegram, dont certaines comptent plus d’un million d’abonnés. «J’ai commencé à utiliser Telegram après le blocage de Facebook. Aujourd’hui, c’est ma principale source d’information», confie Mila, une psychologue de 45 ans, abonnée à quelque 80 chaînes d’actualité. «J’utilise aussi cette messagerie pour communiquer avec mes amis qui sont contre l’offensive», ajoute-t-elle. «Si Telegram cesse de fonctionner, cela me fera très mal». «Je fais plus confiance à Telegram» qu’aux autres messageries, affirme aussi Naïda, une logisticienne de 56 ans. «L’interface est assez commode. Et toutes les actualités sont là, vous n’avez pas besoin d’activer un VPN en permanence», explique-t-elle. Depuis que la Russie, en mars 2022, a bloqué des réseaux sociaux occidentaux comme Instagram, Facebook et Twitter (devenu X), et plusieurs médias d’opposition, désormais seulement accessibles par VPN, la popularité de Telegram n’a cessé de croître dans le pays. Aujourd’hui, il y est le 4ème service en ligne le plus populaire, devançant YouTube et le réseau social russe Vkontakte, selon une étude d’un groupe russe de recherche sur les médias Mediascope. Selon cette même étude publiée en janvier, 67% des utilisateurs de Telegram en Russie préfèrent lire les chaînes politiques et d’actualité, et 6% seulement se focalisent sur le divertissement ou le cinéma. Pour la politologue Tatiana Stanovaïa du Centre Carnegie Russie Eurasie, «Telegram n’a pas d’alternative» en Russie où il est «devenu la source principale d’information». Selon Mme Stanovaïa, le blocage de Telegram serait «critique» pour les Russes «qui vivent dans des conditions où l’accès aux informations via les médias traditionnels est pratiquement réduit à néant» car ces derniers travaillent sous la pression des autorités. Si la messagerie constitue une tribune libre tant pour les avatars de la propagande russe que pour celles de l’opposition militant contre l’offensive, elle est aussi largement utilisée par les médias et autorités ukrainiennes. Volodymyr Zelensky y a sa propre chaîne officielle, ce qui, avec les autres chaînes ukrainiennes, permet aux Russes de voir le conflit sous un autre angle. Telegram est également utilisé par le Kremlin, les ministères et les gouverneurs des régions russes.  Ces derniers y informent notamment la population sur les dangers d’attaques aériennes en provenance d’Ukraine. Et les Ukrainiens font de même quant aux attaques russes. Telegram est aussi devenu un moyen de communication et de coordination pour les militaires tant russes qu’ukrainiens, selon des blogueurs en Russie.