Des détenus qui appellent leurs proches, diffusent des vidéos sur les réseaux sociaux ou encore commanditent des actions à l’extérieur depuis leurs cellules: l’administration pénitentiaire est bien en peine de lutter contre la prolifération des téléphones portables, pourtant interdits en prison. La récente affaire de narchomicides à Marseille a remis en lumière ce problème: un détenu de la prison de Luynes, près d’Aix-en-Provence, avait recruté deux adolescents via les réseaux sociaux pour exécuter des contrats dans le cadre du trafic de stupéfiants qui gangrène la cité phocéenne. Après les faits, 4 téléphones portables ont été retrouvés dans la cellule de cet homme qui était pourtant placé à l’isolement, selon une source proche du dossier. La question s’était déjà posée après l’évasion de Mohamed Amra mi-mai, au cours d’un guet-apens ultra-violent. Le détenu multirécidiviste, impliqué dans des trafics de stupéfiants, est aussi soupçonné d’avoir commandité des meurtres alors qu’il était en détention. Plusieurs téléphones portables avaient été retrouvés lors de fouilles régulières de ses cellules, selon un rapport de l’Inspection générale de la justice. Dans un registre plus léger, une enquête a été ouverte en juin dernier après la découverte d’un compte TikTok diffusant des interviews de détenus ou des tutoriels filmés depuis une cellule. Reste que les téléphones servent surtout aux prisonniers à appeler leurs proches, alors que le coût des communications depuis les fixes installés dans les cellules est très élevé. Les proscrire totalement s’avère risqué, dans des établissements surpeuplés où l’ambiance est tendue. «Dans toutes les prisons, la moitié des détenus au minimum ont un téléphone portable ou plusieurs», déclare Emmanuel Baudin, secrétaire général du syndicat pénitentiaire FO Justice. Pourtant, la détention d’un téléphone portable introduit de manière illicite est punie d’une peine maximale de 5 ans d’emprisonnement qui s’ajoute à la peine purgée par la personne détenue, outre les sanctions disciplinaires. Rien qu’en 2023, 53.000 appareils et accessoires ont été saisis, selon l’administration pénitentiaire. «Les téléphones, ça passe par les drones, ça passe par les familles au parloir, parce qu’il y a certains petits modèles de téléphones qui ne sonnent pas aux portiques», explique Cyril Huet-Lambing, du Syndicat pénitentiaire des surveillants. Ils peuvent aussi passer «par les projections» de colis au-dessus des murs des prisons qui atterrissent dans les cours de promenade, ajoute-t-il. Les prisonniers peuvent également bénéficier de complicités en détention. En mars, six surveillants de la prison de Réau (Seine-et-Marne) ont été mis en examen pour avoir participé à divers trafics, notamment de portables. Pour lutter contre ce phénomène, les établissements sont équipés de portiques de détection et de tunnels à rayons X, souligne l’administration pénitentiaire. Mais celle-ci table aussi sur le déploiement de brouilleurs, dans lequel elle a investi plus de 100 millions d’euros depuis 2018: 18 établissements bénéficient actuellement de dispositifs de brouillage total, et d’ici fin 2025, il est prévu que 38 en soient équipés… sur un nombre total de 186 établissements pénitentiaires. «On est loin du compte», observe Cyril Huet-Lambing. D’autant plus que ces équipements ne sont pas toujours efficaces et ne brouillent pas la 4G ou la 5G. D’autres ne sont tout simplement pas activés pour éviter les tensions. A la prison des Baumettes à Marseille, «quand ils ont installé les brouilleurs, (les détenus, ndlr) ont tout cassé dans les cours de promenade», raconte Cyril Huet-Lambing. «Soit on a des directeurs qui prennent des mesures et qui tapent du poing sur la table, soit on a des directeurs qui sont plus frileux et qui achètent la paix sociale en acceptant tout un tas de choses», observe-t-il.
«Le surveillant à l’étage dispose de très peu de temps et de très peu de moyens pour effectuer les fouilles de cellules, qui sont parfois surencombrées», confirme Romain Baubry, député RN des Bouches-du-Rhône et ancien surveillant de prison, qui écrit un rapport sur l’introduction d’objets illicites en prison.