La fiction du réel («scripted reality»), format hybride peu coûteux et rentable qui allie fiction, magazine et téléréalité, inonde les chaînes françaises, suscitant une grande inquiétude chez les producteurs et scénaristes qui dénoncent leur manque de qualité. «Le jour où tout a basculé» sur France 2, «Au nom de la vérité» sur TF1, «Si près de chez vous» sur France 3, «Face au doute» sur M6, la «scripted reality» figure au programme quotidien d’une grande partie des chaînes publiques et privées. Le concept: des faits réels ou divers sont joués par des comédiens. Ce format peut-il être considéré comme étant de la fiction ? Dans l’affirmative, il pourrait entrer dans les quotas de fictions des chaînes et bénéficier de l’aide du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). La question n’est encore pas tranchée, mais certaines chaînes ont déjà commencé à les présenter au Conseil supérieur de l’audiovisuel en tant que fiction, afin de remplir leurs quotas. Or les professionnels de la fiction craignent que ce tout nouveau format bon marché n’entraîne une baisse de la production d’oeuvres patrimoniales (fiction, documentaire, dessins animés…). «Nous ne considérons pas la «scripted reality» comme une oeuvre patrimoniale. Les chaînes utilisent tous les codes de la téléréalité et du reportage, tout en l’habillant en fiction pour la faire rentrer dans les quotas», souligne Juliette Prissard-Eltejaye, déléguée générale du Syndicat des producteurs indépendants (SPI). Guillaume Prieur, directeur des affaires institutionnelles et européennes de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), réclame de son côté une «vraie réflexion pour savoir si effectivement il s’agit de fiction». «Si c’est le cas, il faut fixer des règles minimales en terme de création et de rémunération. On voit des rémunérations de scénarios choquantes, en deçà de ce qui peut exister dans la fiction. On n’est pas loin de l’exploitation sur certains programmes», ajoute-t-il. Pour l’Union syndicale de la production audiovisuelle, considérer la «scripted reality» comme une fiction risque de «briser le retour en force des séries et unitaires de fiction française». Mi-octobre, Françoise Laborde, membre du CSA, a déclenché une bronca chez les professionnels de la fiction en se déclarant favorable à ce que ces programmes entrent dans le quota des fictions des chaînes. «Dans la mesure où il y a un décor, un scénario, un réalisateur et des acteurs, il nous est apparu que la scripted reality pouvait s’assimiler à de la fiction, et nous avons estimé que ce genre pouvait effectivement entrer dans les obligations des chaînes», a-t-elle déclaré mi-octobre à la la publication spécialisée «Satellifax». Face à l’inquiétude du secteur, le CSA a décidé d’organiser en novembre des auditions de scénaristes, producteurs et chaînes TV pour «s’informer des préoccupations des uns et des autres». «Nous ne nous prononçons jamais sur la qualité des oeuvres», a toutefois prévenu Francine Mariani-Ducray, présidente de la commission production audiovisuelle du CSA. Autre problème mis en avant, la présence de la fiction du réel sur les chaînes publiques France 2 et France 3. Le Syndicat des producteurs indépendants estime que le «téléspectateur qui s’acquitte d’une redevance» est «en droit de se voir proposer une offre mieux disante culturellement». Côté France Télévisions, on relève que ces émissions, «écrites et produites en France créent des emplois», contrairement aux séries étrangères qui étaient diffusées auparavant à leur place.