La Cinq, l’échec retentissant de Berlusconi en France

Les dessins animés cultes, les journaux de Jean-Claude Bourret et les danseuses sexy de Collaro : La Cinq, chaîne de télé lancée en France par Silvio Berlusconi dans les années 1980, a secoué le paysage audiovisuel français, mais s’est finalement soldée par un échec retentissant. «Il avait créé une chaîne à l’italienne, avec des paillettes, c’était le côté champagne et filles qui dansent», se souvient Jean-Claude Bourret, passé sur la Cinq en 1987 après avoir été l’un des présentateurs stars de TF1. La Cinq naît en février 1986, sous l’impulsion du président François Mitterrand. Il est partisan de la création d’une 1ère chaîne privée gratuite en France, après le lancement réussi d’une payante, Canal+, en 1984. L’industriel Jérôme Seydoux et le pionnier de la télévision privée en Italie, Silvio Berlusconi, sont choisis au terme d’un appel d’offres critiqué par les partisans d’une télévision à dominante culturelle. Au contraire, La Cinq s’inspire de Canale Cinque, fleuron italien de Berlusconi, tendance populaire et paillettes. La programmation ultra-généraliste mêle divertissements, séries américaines («K2000», «Supercopter»…), films grand public et figures de la télé française (Christian Morin, Roger Zabel, Alain Gillot-Pétré…) ou italienne (Amanda Lear qui présente le jeu «Cherchez la femme»). Mais l’aventure française se complique rapidement. Jacques Chirac, devenu Premier ministre en mars 1986, privatise TF1 et résilie la concession de la Cinq. En 1987, une nouvelle chaîne du même nom lui succède, menée par Robert Hersant, toujours en tandem avec Berlusconi. Le flamboyant Italien et le redouté patron de presse français «s’entendaient assez bien», se rappelle Jean-Claude Bourret, qui rejoint la chaîne à ce moment-là. La Cinq nouvelle mouture se fait peu à peu une place dans l’Audimat, même si elle n’est pas reçue dans certaines parties du territoire. En plus des séries, elle diffuse des dessins animés japonais devenus cultes («Olive et Tom», «Jeanne et Serge», «Princesse Sarah»), qui côtoient les émissions de Stéphane Collaro et ses «cocogirls» en tenues sexy («Collaricocoshow», «Mondo Dingo»). Côté info, Jean-Claude Bourret présente le JT et crée de nouveaux formats, comme l’interactif «Duel sur la Cinq», où deux invités qui débattent sont ensuite départagés par un sondage téléphonique. Mais l’audience de la Cinq, qui culmine à 13% en 1989, est trop faible pour rentabiliser une chaîne entièrement financée par la publicité et qui a beaucoup dépensé pour recruter des animateurs. Elle accumule les déficits et reçoit des amendes pour diffusion de programmes violents ou non-respect de quotas de diffusion. Les actionnaires se divisent et Hersant jette l’éponge en 1990. Le CSA désigne le groupe Hachette, dirigé par Jean-Luc Lagardère, qui rêve de se lancer dans la télévision, pour gérer la chaîne. Berlusconi reste actionnaire mais privé de tout rôle opérationnel. L’ambition de Lagardère, qui tente de miser sur la qualité, se heurte à la réalité économique. Les pertes se creusent et la liquidation judiciaire de la chaîne, qui employait 900 personnes, est prononcée en 1992 au vu d’un passif déclaré qui approche quatre milliards de francs (soit 60 millions d’euros). Elle cesse d’émettre le 12 avril 1992, malgré un mouvement de soutien populaire constitué autour de «l’Association de défense de La Cinq», fondée par Jean-Claude Bourret. Ce jour-là, c’est lui qui prononce le compte à rebours final en direct, au milieu du personnel. La retransmission coupe et est remplacée par cette inscription: «La Cinq vous prie de l’excuser pour cette interruption définitive de l’image et du son». Sa disparition entraîne de vifs débats sur l’octroi de sa fréquence. Le gouvernement la préemptera rapidement pour lancer la chaîne franco-allemande ARTE.