Manque de diversité chez les artistes, ou encore coup porté à certains genres musicaux: la 35e édition des Victoires de la musique, vendredi, s’accompagne de quelques fausses notes. C’est une petite révolution: cette année les catégories primées sont passées de 13 à 8. Ont disparu les étiquettes des genres – rock, électro, musiques du monde, musiques urbaines et rap, la catégorie «album de chansons» devenant «album» tout court.
L’idée était d’avoir une meilleure «lisibilité», résume Romain Vivien, président des Victoires de la musique. «Nous voulions éviter de catégoriser les artistes, et puis le public ne s’y retrouvait pas forcément. C’était aussi une demande d’artistes, qui nous disaient «on veut concourir avec tout le monde»», poursuit le patron de l’évènement.
Ne demeurent donc que les catégories reines: artiste masculin, artiste féminine, album, chanson originale, etc. «Auparavant, seuls les gagnants chantaient durant la cérémonie, là tous les nommés se produisent», glisse aussi Romain Vivien.
Mais le vent des critiques se lève. «C’est dommage, c’est un monde qui se referme au lieu de s’ouvrir, c’est un peu désolant», regrette Martin Meissonnier, DJ, producteur historique des musiques du monde. «L’ouverture c’était le moyen d’être moins franco-français. C’est extraordinaire, car en ce moment les charts américains et anglais s’ouvrent sur des musiques venues de partout». «Ça participe d’une «invisibilisation» systématique du rap, qui vend pourtant le plus aujourd’hui», renchérit Eloïse Bouton, journaliste et fondatrice de Madame Rap, média dédié aux femmes dans le hip-hop. «Même si on va nous répondre que c’est pour l’inclure dans la musique populaire. Mais il y a peu de rappeurs et peu de femmes, qui apparaissaient avant dans les musiques urbaines – même si je n’aime pas ce terme – avec le r’n’b».
«C’est un coup de couteau donné au rock, c’est comme dire «on n’a plus le temps de prendre des risques, car le rock, ça prend du temps»», déplore Julien Hohl, directeur du label Deaf Rock et manager du groupe Last Train. «C’est comme dire «on travaille sur l’instantanéité, plus sur des carrières»». «Quand on regarde la liste des nominés, on cherche en vain une diversité de couleurs», a encore vitupéré Manu Dibango dans «Le Monde». Même colère froide chez Jacob Desvarieux, membre fondateur du groupe Kassav’. «Quelqu’un a décidé que c’était peut-être un peu trop coloré et qu’il fallait revenir à quelque chose de plus blanc», enrage-t-il dans une vidéo de la 1re, réseau ultra-marin du groupe France Télévisions. «C’est un choix, on savait qu’on ouvrirait le débat, c’est bien de l’ouvrir, le débat est sain et il ne faut pas l’éviter», fait valoir Romain Vivien au sujet des catégories ôtées. Pour le manque de «couleurs» dénoncé par certains, le patron des Victoires reconnaît: «Il manque un peu de diversité à l’issue du 2e tour de vote, il y en avait davantage après le 1er». «Ça pose des questions: est-ce lié aux catégories enlevées ou aux gens qui votent ?», s’interroge-t-il, avant de conclure: «Ce manque de diversité, il va falloir y travailler».