Guerre à Gaza: le sort des Palestiniens «invisibilisé» dans les médias israéliens

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Sur les chaînes de télévision israéliennes, la guerre est partout, jusqu’au veston des présentateurs vedettes arborant un ruban jaune en solidarité aux otages retenus dans la bande de Gaza. Mais rien sur le sort des Palestiniens qui tentent d’y survivre sous les bombes. Chaque soir devant leurs postes, les téléspectateurs israéliens ont droit au récit des opérations menées dans la bande de Gaza, dévastée par la campagne de représailles militaires à l’attaque sanglante lancée par le mouvement islamiste palestinien Hamas le 7 octobre 2023 en Israël. Cet assaut meurtrier «a été pour la société israélienne une surprise, et les médias ont donné une priorité absolue à la souffrance et au trauma d’Israël qui n’est pas terminé», explique Jérôme Bourdon, sociologue des médias et professeur à l’Université de Tel-Aviv. En Israël, il existe 4 télévisions généralistes: la 11, publique, la 12, «la plus regardée», la 13 «la plus critique», la 14 «outil de propagande du Premier ministre Benjamin Netanyahu, le Fox News israélien», analyse Oren Persico, journaliste à «The Seventh Eye», site d’investigation israélien consacré aux médias. Après avoir décortiqué des heures de journaux télévisés mais aussi des émissions satiriques ou télé-crochets où le conflit s’est aussi immiscé, les journalistes de «The Seventh Eye» sont sans appel: «Tous les médias en Israël, de la chaîne 11 à 14, ne montrent pas d’images de la souffrance humaine à Gaza». Les télévisions «peuvent montrer des images de décombres, d’un bâtiment bombardé mais pas les histoires individuelles des personnes touchées». Pour M. Bourdon, la parole palestinienne était «invisibilisée» avant le 7 octobre et l’est désormais pour soutenir «l’effort de guerre». L’attaque du Hamas a entraîné la mort de 1.205 personnes du côté israélien, en majorité des civils tués le 7 octobre, selon un décompte réalisé à partir de données officielles israéliennes et incluant les otages morts ou tués en captivité dans la bande de Gaza. Sur les 251 personnes emmenées comme otages le 7 octobre, 97 sont toujours retenues à Gaza, dont 33 ont été déclarées mortes par l’armée israélienne. Les représailles militaires israéliennes sur la bande de Gaza y ont fait plus de 41.000 morts, majoritairement des civils, selon les données du ministère de la Santé du gouvernement du Hamas pour Gaza, jugées fiables par l’ONU. Ce bilan «n’est pas utilisé par les médias israéliens», affirme M. Persico. La chaîne ultra-conservatrice 14 le mentionne sur ses bandeaux et son site internet en ajoutant «40.000 terroristes éliminés». Lorsque les télés israéliennes consacrent des sujets aux Palestiniens, il existe «une différence d’angle avec les médias étrangers», estime M. Bourdon. Fin juillet, des soldats israéliens ont été interpellés dans le cadre d’une enquête pour mauvais traitements infligés à un détenu palestinien après la fuite d’une vidéo largement reprise par les médias locaux. Sur la chaîne 12, dont les audiences caracolent en tête avec près de 20% de part de marché, un débat s’en est suivi sur «la légitimité ou non de torturer des terroristes et de les sodomiser». Au sein de la rédaction de la chaîne basée à Tel-Aviv, il y a «un avant et après 7-Octobre», confie un journaliste vedette sous couvert d’anonymat. «L’accent est mis sur l’horreur qui nous est arrivée, pas sur les histoires palestiniennes», dit-il à regret. Assurant «ne pas subir de pression», plusieurs journalistes israéliens disent être «encore sous le choc» du 7 octobre, ou «ne plus faire confiance aux Palestiniens», pour expliquer l’absence de sujets sur les habitants de Gaza. Ils estiment aussi que les médias internationaux ont une couverture «partiale de la guerre» avec un parti pris manifeste en faveur des Palestiniens. Dans le paysage médiatique israélien, le quotidien de gauche «Haaretz» et le site d’information en ligne +972 Magazine sont les rares médias à mener des enquêtes sur la bande de Gaza.