La France à l’Eurovision: l’histoire d’une passion contrariée

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La France à l’Eurovision, c’est «Je t’aime moi non plus», l’histoire d’une passion contrariée. Avec le temps on oublie la voix des chanteurs tricolores défaits, mais Amir Haddad entend rallumer le feu en finale samedi à Stockholm. Les bookmakers placent le beau trentenaire et son «J’ai cherché» dans le trio de favoris au 61e concours de la chanson, aux côtés des candidats de la Russie et de l’Ukraine. En breton, corse ou – sacrilège! – en anglais, les Français cherchent désespérément depuis des décennies la formule qui leur fera remporter ces olympiades de la chanson populaire, suivies dans le monde entier par quelque 200 millions de téléspectateurs. Car après André Claveau en 1958, Jacqueline Boyer deux ans plus tard, Isabelle Aubret en 1962 et Frida Boccara en 1969, Marie Myriam a poussé le dernier cocorico en 1977 à Londres avec «L’Enfant et l’Oiseau». «Ma victoire commence à sentir la poussière», glisse l’artiste avec humour dans un entretien. «J’adorerais que quelqu’un gagne. Ça ne changera rien à mon talent, à ma voix, ni à la chanson elle-même qui est désormais dans le coeur des gens». Les succès en 1965 de France Gall à qui Serge Gainsbourg avait offert sa «Poupée de cire, poupée de son», Jean-Claude Pascal en 1961, Anne-Marie David en 1973, et Corinne Hermès en 1983 comptent pour des prunes, plus exactement pour le Luxembourg. Idem avec Séverine en 1971, ambassadrice de Monaco. Joëlle Ursull en 1990 (2e avec «Black and White Blues», encore du Gainsbourg), Amina en 1991 (2e avec «C’est le dernier qui a parlé qui a raison») et Natacha St-Pier en 2001 (4e avec «Je n’ai que mon âme») passent tout près. Beaucoup d’autres finissent dans les tréfonds du classement. La France se lasse. En 2007 à Helsinki, elle joue la dérision en sélectionnant les Fatals Picards, joyeux drilles à l’audience presque confidentielle. «C’est assez curieux, ces JO de la chanson. C’est aux antipodes de ce qu’on aime faire et voir dans la musique, mais ça a apporté pas mal de trucs au groupe», reconnaît le guitariste Laurent Honel. Ils finiront 22es sur 24, mais se produiront ensuite dans de grandes salles aux six coins de l’Hexagone. Après un nouveau fiasco pour le second degré (Sébastien Tellier en 2008), Patricia Kaas est mobilisée pour conquérir Moscou, où la môme de Forbach est aussi populaire que Mireille Mathieu. Elle y décroche une honorable 8e place. Les quatre dernières éditions ont été désastreuses. En 2014 le groupe Twin Twin coiffe le bonnet d’âne, et en 2015 Lisa Angell termine avant-dernière avec «N’oubliez pas», un titre sur la Première Guerre mondiale en décalage complet avec une émission résolument légère et kitsch. Nathalie André, la directrice de l’unité Jeux et divertissements de France 2 qui diffuse la finale, dénonce alors une «mascarade». Mais comme tout peut s’oublier, elle est optimiste pour l’édition 2016 avec Amir Haddad, Franco-Israélien à la gueule d’ange. «L’année dernière je suis partie avec une grande chanteuse dotée d’une grande voix, cette année je pars avec un artiste d’aujourd’hui», plébiscité sur les radios, explique la productrice. Alors pourquoi tous ces Waterloo? «Les grands pays comme la France n’ont pas besoin de l’Eurovision pour prouver quoi que ce soit», expose le très francophile Rikard Wolff, traducteur et interprète en suédois de Brel, Piaf, Guidoni et Barbara. Il y a aussi le sempiternel débat, propre à la France, de la langue. Le secrétaire d’État à la Francophonie André Vallini a déploré qu’Amir ait un refrain dans celle de Shakespeare. «La langue française baisse pavillon!», a-t-il estimé. Qu’en dit l’intéressé? «Chanter à l’Eurovision est une fierté pour moi», élude-t-il. La France entonnera-t-elle l’hymne à l’Amir?