Le ministère public a requis mercredi en appel un abandon de la procédure ou, à défaut, une relaxe de France Télévisions, attaqué en diffamation par l’Azerbaïdjan pour la diffusion d’un reportage de «Cash Investigation» où cet État était présenté comme une «dictature». En 1ère instance, le tribunal correctionnel de Nanterre avait estimé la plainte azerbaïdjanaise irrecevable, jugeant qu’un État, n’étant pas un particulier, ne pouvait attaquer en diffamation, en vertu de la loi sur la presse de 1881. Mais le régime de Bakou avait fait appel, arguant d’un «déni de justice». Dans ses réquisitions mercredi devant la cour d’appel de Versailles – qui doit se prononcer le 19 septembre-, l’avocat général a soulevé la question de la «nullité du jugement» de première instance: «Dire que l’État d’Azerbaïdjan est une dictature, ce serait une injure, pas de la diffamation». Il y a donc un problème de «qualification» et le tribunal correctionnel aurait dû, outre prononcer l’irrecevabilité de la plainte, «déclarer l’action publique éteinte», selon Marc Brisset-Foucault. «Si par extraordinaire», la cour déclarait que l’action publique n’était pas éteinte, il faudrait donc qu’elle prononce une «relaxe à titre subsidiaire», a-t-il requis. L’État caucasien avait porté plainte peu après la diffusion le 7 septembre 2015 sur France 2 d’un reportage sur les coulisses des voyages présidentiels de François Hollande, qui lui était largement consacré. La présentatrice de l’émission Élise Lucet avait introduit le sujet en présentant le régime de Bakou comme une «dictature, l’une des plus féroces au monde». Évoquant le même jour sur France Info le reportage dont il est l’auteur, le journaliste d’investigation Laurent Richard – également jugé dans cette affaire, tout comme la présidente de France Télévisions Delphine Ernotte – avait à son tour qualifié le président azerbaïdjanais Ilham Aliev de «dictateur» et de «despote». En première instance, le tribunal de Nanterre avait estimé que «la loi sur la liberté de la presse a(vait) pour objectif d’assurer la liberté d’expression et ne permet(tait) pas à un État d’engager des poursuites contre un particulier», comme l’ont plaidé les avocats de la défense encore mercredi. Me Olivier Pardo, avocat du plaignant, a estimé que les émissions comme «Cash investigation» participaient d’une «presse de dénonciation». Elles «n’ont qu’un principe, c’est l’animosité, et un but, un seul: pas celui de nous informer, mais de crucifier, de stigmatiser», a-t-il ajouté, qualifiant l’État qu’il défend de régime «pas parfait» et «certes autoritaire» mais pas dictatorial. L’Azerbaïdjan est «une dictature qui avance masquée, qui se pare des atours de la démocratie pour mieux masquer ses agissements: journalistes indépendants emprisonnés, opposition complètement muselée…», a tancé a contrario Me Juliette Félix, conseil de France Télévisions et de Mme Lucet. Le pays, indépendant depuis la chute de l’Union soviétique, occupe la 163e place sur 180 dans le classement de la liberté de la presse établi en 2018 par l’ONG Reporters sans frontières (RSF). Selon cette organisation, c’est la 1ère fois qu’un État étranger poursuit un journaliste sur le sol français. Il est d’ailleurs rarissime qu’un État poursuive un individu. En mai, la Cour de cassation a annulé une décision de non-lieu prise en faveur d’un député français ayant qualifié l’Azerbaïdjan d’»État terroriste». Sans se prononcer sur le fond – la possibilité ou non de cet État d’attaquer en diffamation -, la cour a estimé qu’il ne revenait pas à une chambre de l’instruction d’apprécier la pertinence de la qualification des poursuites. La recevabilité de la plainte azerbaïdjanaise devra donc être réexaminée devant un tribunal.
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