Face aux IA qui moulinent leurs oeuvres pour générer du contenu, les auteurs ripostent avec de 1ères plaintes. Leur bataille sera rude: en Europe comme en Amérique du Nord, le droit penche pour les IA mais pourrait évoluer, selon les juristes. En janvier, aux Etats-Unis, 3 artistes ont porté plainte contre Stable Diffusion, Midjourney et DeviantArt, et l’agence de photos Getty contre Stable Diffusion. Ils contestent le droit des IA à traiter des milliards de textes ou d’images, ce qui a permis leur «apprentissage». En Europe, une directive européenne de 2019, transposée dans 22 Etats dont la France, autorise ce «droit de fouille» (data mining), y compris sur des contenus sous droit d’auteur, s’ils sont publiquement accessibles. Sauf si le titulaire des droits s’y est opposé expressément. «Cette exception au droit d’auteur, conçue sur mesure pour permettre l’essor de ces technologies, est passée relativement inaperçue», commente maître Charles Bouffier, du cabinet Racine. «A des fins de recherche, l’exception est absolue, sans opposition possible. Mais à des fins commerciales, les titulaires de droits peuvent refuser et l’indiquer dans les conditions générales du site, par exemple», souligne-t-il. La difficulté sera de s’assurer que leur opposition est respectée. «Comment savoir si une oeuvre a été utilisée dans la phase d’apprentissage?», interroge maître Pierre Pérot, du cabinet August Debouzy. Pour les contenus générés, le statut juridique est épineux. S’agit-il de contrefaçons, surtout si l’utilisateur de l’IA a requis une production «à la manière» d’un auteur ou imitant un logo? Le droit français et européen, comme le droit américain, ne reconnaît la contrefaçon qu’en cas de copie d’une oeuvre précise. «Ni un genre, ni un style, ni une idée ne sont protégeables par le droit d’auteur», remarque maître Eric Barbry, du cabinet Racine. En revanche, si on reconnaît clairement la source dans l’image générée, la question se pose. En Europe, une notion pourrait protéger des artistes copiés par des IA: celle de «parasitisme», qui sanctionne le «pillage» des efforts d’autrui. Cette jurisprudence française ouvre droit à dédommagement si un manque à gagner est prouvé. Récemment, des grandes maisons de luxe ont ainsi gagné contre des fabricants de mode qui copiaient leur «univers», relève maître Marc Mossé, d’August Debouzy. Enfin se pose la question de l’utilisation commerciale de ces contenus. A qui appartiennent-ils? Peuvent-ils être vendus et bénéficier d’un droit d’auteur? Tout d’abord, les juristes estiment qu’une IA n’est ni propriétaire, ni auteur, ni responsable. «Les IA indiquent dans leurs conditions générales que l’utilisateur, et lui seul, est responsable de l’usage qu’il va faire du contenu», souligne maître Pérot. «Rien n’interdit donc de le commercialiser». Faut-il préciser qu’il provient d’une IA? Ce pourrait être le cas au titre de l’information des consommateurs. Reste le sujet du droit d’auteur. Le droit français et européen précisent qu’une oeuvre ne peut en bénéficier que si elle est originale et exprime la personnalité de l’auteur. «Cela induit que l’auteur est une personne physique», selon maître Bouffier. «Ce sera compliqué pour les utilisateurs d’IA de se présenter comme auteur à part entière», confirme maître Barbry. Aucun tribunal en Europe n’a encore tranché mais aux EU l’Office du copyright vient de refuser le droit d’auteur à une BD générée par IA. «C’est l’approche qui pourrait être prise par les tribunaux européens. A une réserve près», nuance maître Pérot, lorsque l’utilisateur a eu un rôle majeur. Il cite le cas de «Théâtre d’opéra spatial», image générée par une IA qui a remporté un concours en septembre. Son producteur a passé 80 heures à peaufiner ses instructions et retouché le résultat. «On peut considérer là que l’utilisateur a eu un rôle majeur et qu’il y a place pour le droit d’auteur», note l’avocat, citant «un travail de supervision, de choix, d’analyse, de sélection».