Delphine SAULIÈRE D’IZARNY (Bayard Jeunesse) : « Nous avons de grandes ambitions »

Phosphore, magazine emblématique de Bayard Jeunesse, opère un tournant décisif en devenant un média 100% numérique. Face à l’évolution des usages et à la disparition de la lecture papier chez les adolescents, la rédaction a repensé entièrement son offre pour s’adapter aux nouvelles habitudes des 14-19 ans. Delphine SAULIÈRE D’IZARNY, directrice des rédactions de Bayard Jeunesse et Damien GIARD, directeur du numérique nous expliquent les coulisses de cette révolution éditoriale.

Pourquoi transformer Phosphore en un média 100% numérique maintenant ? 

Delphine Saulière d’Izarny : Nous avons d’abord mené une réflexion éditoriale approfondie : notre enjeu est de toucher nos lecteurs et d’aller les retrouver là où ils sont. La lecture papier, notamment d’informations, est en forte diminution chez les adolescents. Aujourd’hui, seuls 3 % des plus de 15 ans s’informent via la presse papier. Nous avions donc deux options : maintenir un bimensuel papier par militantisme, ou repenser totalement notre approche pour proposer une nouvelle expérience numérique. Nous avons mené une enquête auprès d’une centaine d’adolescents et de parents pour comprendre leurs habitudes d’information. Le résultat était clair : les jeunes s’informent en ligne, via des formats courts et interactifs. Cela nous a conduit à développer un format numérique innovant, payant, intégrant vidéo, lecture, son et interactivité.

Damien Giard : Pour concrétiser cette idée, nous avons collaboré avec Urbania, une start-up québécoise qui a ouvert une filiale en France. Ils ont développé le format « Micro Mag », un magazine digital envoyé par SMS, WhatsApp ou email. Nous l’avons adapté aux attentes des adolescents en y ajoutant lecture, BD, interactivité et courrier des lecteurs.

Comment conservez-vous l’ADN de Phosphore tout en vous adaptant aux nouveaux usages des ados ?

Delphine Saulière d’Izarny : Nous gardons nos valeurs fondamentales, seule la forme évolue. La relation d’intimité avec nos lecteurs reste essentielle. Par exemple, nous avons créé un WhatsApp spécifique où les abonnés peuvent laisser des messages vocaux auxquels nous répondons, comme nous le faisions auparavant avec nos rubriques courrier et nos experts. L’orientation scolaire demeure un pilier. Nous utilisons par exemple le motion design pour expliquer les subtilités de Parcoursup, rendant ainsi l’information plus immersive grâce à l’image et à la voix des journalistes. Notre rubrique découverte du monde est aussi enrichie avec des vidéos en partenariat avec Le Monde.

Quels enseignements avez-vous tirés de l’incubation avec Urbania ?

Damien Giard : Ce projet a permis à nos équipes print de repenser leur métier. Nous avons appris à travailler en multidimension, car un angle vidéo n’est pas si éloigné d’un angle journalistique classique, mais il demande une approche différente. Un autre apprentissage important concerne notre posture : chez Bayard Jeunesse, nous avons toujours eu une approche discrète, en nous effaçant derrière le contenu. Dans le numérique, nous devons être plus visibles, parler à l’audience et exister en tant que voix du média, sans toutefois tomber dans le piège de l’influence.

Vous savez que les jeunes consomment principalement du contenu sur TikTok, Instagram et YouTube. Allez-vous vous positionner sur ces plateformes ?

Delphine Saulière d’Izarny : Nous avons une écriture spécifique pour les réseaux sociaux, mais notre stratégie est de créer notre propre espace plutôt que de dépendre des plateformes. Nous voulons donner envie aux jeunes de nous suivre en proposant des contenus décalés, humoristiques et engageants. L’autre enjeu est de convaincre les parents et grands-parents, qui sont souvent ceux qui financent l’abonnement, que ce format numérique a une vraie valeur.

Le passage au numérique impacte-t-il le modèle économique de Phosphore ?

Damien Giard : Oui, et nous croyons fermement en notre modèle d’abonnement à 9 euros par mois. Nous travaillons à enrichir cette offre, notamment avec des modules d’apprentissage de l’anglais. Nous explorons également une approche B2B, en intégrant des partenaires institutionnels dans le Micro Mag. Nous avons déjà initié des opérations spéciales sur des thématiques sociétales, en partenariat avec la mission de lutte contre les addictions. Ces collaborations permettent d’apporter du contenu utile et interactif aux jeunes.

Utilisez-vous des technologies de recommandations personnalisées ?

Damien Giard : Non. Nous avons fait le choix de ne pas utiliser d’algorithmes ni de publicité ciblée. Nous souhaitons offrir un contenu fiable et équilibré, sans piéger nos abonnés dans une logique de consommation infinie.  Phosphore reste un concentré de 15 minutes d’actualité et de découverte, un format concis et efficace.

Comment imaginez-vous l’évolution de Phosphore d’ici 5 ans ?

Delphine Saulière d’Izarny : Nous avons de grandes ambitions : développer des outils autour des soft skills, organiser des événements en présentiel et adapter notre offre pour les plus jeunes. Nous savons que les usages numériques évoluent très rapidement. En 2019, nous n’aurions pas imaginé une telle explosion des écrans chez les adolescents. Aujourd’hui, les collégiens sont autant concernés que les lycéens. Nous voulons créer un média de qualité et innovant, qui accompagne parents et enfants vers un usage responsable des écrans. Nous sommes convaincus que le numérique est l’avenir, et nous nous engageons à en faire un atout pour l’information des jeunes.