S’il fallait garder un film sur la soixantaine où il figure, ce serait «Tirez sur le pianiste» de François Truffaut, mais Charles Aznavour a aussi tiré son épingle du jeu chez Claude Chabrol, Claude Lelouch ou Atom Egoyan. La fin d’année 1960 est décisive à double titre pour la carrière d’Aznavour. Le 12 décembre, la critique, jusqu’alors très aigre à son endroit, le consacre enfin vedette du music-hall, éblouie par son fameux concert à l’Alhambra. Mais c’est trois semaines plus tôt, le 25 novembre, que ses talents – de comédien cette fois – sont reconnus dans «Tirez sur le pianiste». Aznavour brille par sa composition subtile qui fait ressortir la fragilité de son personnage, Charlie Kohler. «Sa silhouette gracile le fait ressembler à saint François d’Assise», dit de lui Truffaut qui l’avait d’abord approché avec l’intention de lui consacrer un documentaire. Bien plus qu’une parodie de film noir, ce long-métrage inclassable peine toutefois à rencontrer son public. En cette même année 1960, Aznavour est également remarquable dans «Le passage du Rhin» d’André Cayatte, récompensé du Lion d’or à Venise, et dans «Un taxi pour Tobrouk», dialogué par Michel Audiard et réalisé par Denys de La Patellière, sous la direction duquel il tournera trois autres films («Tempo di Roma», «Pourquoi Paris ?» et une nouvelle version de «Caroline Chérie»). Ses 1ers rôles, non crédités, remontent à 1936 et 1938 dans «La guerre des gosses» et «Les disparus de Saint-Agil». Il dira s’être imprégné, adolescent, de la méthode Stanislavski, axée sur la prise de conscience intérieure par l’acteur de son personnage. Ce qui lui servira autant pour ses tours de chant que devant la caméra. C’est dans «Adieu chérie» (1946) réalisé par Raymond Bernard, avec Danielle Darrieux en vedette, qu’il obtient son 1er rôle. Mais il doit attendre douze ans avant de se faire remarquer dans «La tête contre les murs» de Georges Franju (1958). Notamment par Jean-Pierre Mocky, qui l’engage pour sa première réalisation «Les dragueurs» en 1959, année où il obtient aussi un petit rôle dans «Le testament d’Orphée» de Jean Cocteau. Au milieu des années 60, Aznavour joue chez Julien Duvivier («Le diable et les dix commandements») et Pierre Granier-Deferre («Paris au mois d’août» et «La métamorphose des cloportes»). La décennie suivante le voit s’aventurer en Italie chez Sergio Gobbi («Le temps des loups», «Un beau monstre»), aux Etats-Unis chez un faiseur de James Bond Lewis Gilbert («Les derniers aventuriers»), en Angleterre chez Peter Collinson («Dix petits nègres») et même en Allemagne chez Volker Schlöndorff pour un rôle secondaire dans «Le tambour», Palme d’or ex-aequo avec «Apocalypse Now» de Francis Ford Coppola en 1979. A partir des années 80, Aznavour ralentit le rythme. Claude Chabrol lui offre cependant un rôle important aux côtés de Michel Serrault dans «Les fantômes du chapelier». A cette même époque, Claude Lelouch enchaîne 2 films avec lui: «Edith et Marcel» et «Viva la vie». En 2002, il revient au premier plan chez Atom Egoyan dans «Ararat» qui évoque le génocide arménien. Et les oreilles attentives reconnaissent sa voix dans la version française de «Là-Haut» des studios d’animation Pixar. Reste enfin cette perle érotico-psychédélique que fut «Candy» de Christian Marquand (1968), dans laquelle il joue un… bossu lubrique. Une production internationale dont il partage l’affiche avec Marlon Brando, Richard Burton, Anita Pallenberg, John Huston, le boxeur Sugar Ray Robinson et même Ringo Star! «Sur la bonne soixantaine de films que j’ai tournés, il y a quand même beaucoup de navets», dira-t-il. «Avec le recul, je peux être fier d’une petite dizaine d’expériences, avec Franju, Truffaut, Cayatte, Duvivier, Chabrol ou Schlöndorff (…) C’était une respiration et une détente pour moi d’échapper à l’univers assez solitaire du music-hall».