Traitements fantaisistes contre le cancer, fausses informations concernant les vaccins : des podcasteurs américains et européens influents répandent de la désinformation néfaste dans le domaine de la santé, tout en échappant largement à la vérification des faits, selon des chercheurs. Ce sujet revient sur le devant de la scène cette semaine alors que Robert F. Kennedy Jr, qui s’est illustré en relayant de fausses informations dans le domaine de la santé, notamment des théories anti-vaccin, est sur le grill devant le Sénat américain concernant sa nomination au poste de ministre de la Santé par le président Donald Trump. En janvier, l’acteur et réalisateur Mel Gibson a affirmé sur le podcast Joe Rogan Experience – numéro 2 des podcasts sur Spotify aux Etats-Unis – que certains de ses amis avaient surmonté un cancer de stade 4 en ayant pris des médicaments antiparasitaires comme l’ivermectin et le fenbendazole. La Société canadienne du Cancer a indiqué que l’efficacité de ces traitement n’était «pas scientifiquement prouvée» et qu’une telle désinformation était «dangereuse» car elle donnait de faux espoirs à des malades. Le podcast a eu des millions d’écoutes, tandis que les messages consacrés aux affirmations de Mel Gibson se sont répandus sur les plateformes comme Facebook, X et Instagram. Les fausses affirmations relayées sur les podcasts, et qui selon les experts alimentent la méfiance du public vis-à-vis de la médecine conventionnelle, ne sont souvent pas vérifiées, faute pour les vérificateurs de pouvoir passer au crible des heures de transcriptions. Avec peu de limitations pour lancer un podcast, d’énormes volumes de contenu audio peuvent être produits. «La nature même du média rend difficile la détection de la désinformation et augmente aussi la probabilité que ces fausses affirmations circulent», explique Valerie Wirtschafter, chercheuse à la Brookings Institution à Washington. Une étude qu’elle a publiée en 2023 a examiné plus de 36.000 épisodes produits par 79 podcasteurs de 1er plan. Un épisode sur 20 et plus de 70% de ces podcasteurs ont diffusé au moins une «affirmation fausse ou non fondée». Le phénomène ne se limite pas aux Etats-Unis. En décembre, une enquête de la BBC a révélé que le populaire animateur Steven Bartlett amplifiait la désinformation concernant la santé dans «Diary of a CEO» («Journal d’un CEO»), son podcast classé en tête de liste sur Spotify. L’analyse de 15 épisodes consacrés à des questions de santé a révélé que chacun de ces épisodes contenait en moyenne 14 «affirmations nuisibles en matière de santé. Flight Studio, la société de production de podcasts dont M. Bartlett est le propriétaire, a déclaré à la BBC que ses invités bénéficiaient de «la liberté d’expression» et qu’ils faisait l’objet d’un «examen approfondi». Richard Holley, moniteur de fitness basé à Londres, a avoué avoir ét attiré par un épisode de «Journal d’un CEO» qui donnait la parole à un invité plaidant en faveur d’un régime keto (régime cétogène, pauvre en glucides) pour traiter le cancer. M. Holley a expliqué qu’il ne ressentait pas le besoin de vérifier ces affirmations douteuses, formulées avec désinvolture en tant que recommandations de style de vie et non en tant que faits scientifiques, tout en reconnaissant qu’avec le recul, «il fallait être prudent». Des podcasts attirant des millions d’auditeurs sont une affaire très rentable, M. Bartlett ayant lui-même déclaré aux médias britanniques que son émission devrait rapporter 20 millions de livres (25 millions de dollars) en 2024, principalement grâce à la publicité. «Des podcasteurs de 1er plan ont investi dans des entreprises spécialisées dans le bien-être et la santé tout en donnant du temps d’antenne à la désinformation en matière de santé», explique Cécile Simmons, chercheuse à l’Institut pour le dialogue stratégique.
Le podcast The Joe Rogan Experience, a fait l’objet d’un procès pour publicité mensongère concernant l’un de ses produits, qui était régulièrement promu sur le podcast. En 2023, YouTube a retiré une vidéo du podcasteur Jordan Peterson interviewant M. Kennedy, arguant qu’elle enfreignait sa politique d’interdiction de la désinformation concernant les vaccins. Une initiative rare cependant. «Compte-tenu de la portée et de la popularité des podcasts, nous devons réfléchir à la manière d’assurer le devoir de protection des utilisateurs tout en préservant certaines libertés créatives que permet ce média», estime Mme Simmons.