A. VINCENTI (France Télévisions) : «On peut décrypter un enjeu démocratique à travers la forme»

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Hier matin, France Télévisions tenait une conférence de presse afin de présenter le dispositif éditorial et technologique en réalité augmentée des soirées électorales sur France 2 et franceinfo (canal 27). L’occasion de nous entretenir avec Arnaud VINCENTI, Directeur artistique de l’information du groupe France Télévisions.

MEDIA +

Quel est aujourd’hui votre rôle au sein de France Télévisions ?

ARNAUD VINCENTI

Autour des grands rendez-vous d’information tels que les soirées électorales, je suis le chef d’orchestre de la mise en œuvre du concept artistique : du plateau à l’habillage en passant par le générique. L’information qui propose décryptage et pédagogie a besoin de visualisation. Dès qu’il y a des éléments pouvant servir la forme de l’information, nous la testons. Je travaille également au Medialab de l’information où nous assurons une veille prospective artistique et technologique.

MEDIA +

Comment avez-vous imaginé le dispositif artistique des soirées électorales de 2022 ?

ARNAUD VINCENTI

Le maître-mot : que la forme soit toujours au service du fond. L’histoire que l’on raconte lors d’une soirée électorale est toujours un peu la même. Nous avons une unité de temps : la soirée électorale. Une unité d’action: la révélation des résultats. Et il nous manquait une unité de lieu que nous avons souhaité approfondir sur France 2 en présentant aux téléspectateurs, en toute transparence, la fabrique de l’information, en montrant les journalistes qui travaillent au sein de l’équipe. On lève le voile sur cette usine à faire de l’information. Nous ne sommes pas simplement dans la recherche d’un effet «waouh», mais nous voulons trouver un équilibre entre la scénographie, l’apport éditorial et la compréhension de cette théâtralité.

MEDIA +

C’est pourquoi vous investissez le hall de France Télévisions ?

ARNAUD VINCENTI

Exactement ! Nous symbolisons dans le hall, par l’intermédiaire d’une Marianne stylisée, l’arène démocratique. Nous donnons de la voix à la démocratie. Cette Marianne emprunte à l’art cinétique, à l’instar du travail de Vasarely avec son portrait de Georges Pompidou au Centre Beaubourg. Nous allons la déployer à travers tous les outils de communication de France Télévisions lors de cette séquence électorale (présidentielle et législative). De cette Marianne en réalité augmentée viendra la révélation parmi les 12 candidats à la Présidentielle, dont les photos seront virtuellement suspendues dans le hall. C’est la conceptualisation d’un fait éditorial où l’on raconte une histoire. On doit s’assurer que le téléspectateur soit toujours en bonne compréhension de ce qu’il regarde.

MEDIA +

Pendant la soirée, les présentateurs Laurent Delahousse et Anne-Sophie Lapix parleront à travers un dispositif d’écrans. Comment l’avez-vous conceptualisé ?

ARNAUD VINCENTI

Notre souhait est de connecter le hall de France Télévisions avec tous les lieux éditoriaux de la soirée. C’est le cas notamment du plateau du JT qui est situé dans les sous-sols, au -1. Nous l’avons remonté virtuellement d’un niveau pour donner le sentiment au téléspectateur que Laurent Delahousse parle à Anne-Sophie Lapix sur un même sol par l’intermédiaire d’un écran XR. Visuellement, nous rendons cohérent l’unité de lieu avec une réalisation à taille humaine.

MEDIA +

Quel est le dispositif technique ?

ARNAUD VINCENTI

Nous mettons en place une «cable cam», une caméra sustentée par des câbles qui a l’avantage de pouvoir se déplacer de haut en bas, de gauche à droite, de loin à très proche. Ce sont des caméras plutôt dévolues aux rencontres sportives mais c’est la première fois que nous l’utilisons sur un grand rendez-vous d’information. C’est aussi la première fois que l’on embarque autant de séquences en réalité augmentée par ce biais. Nous utilisons les mouvements de caméra pour servir le propos éditorial. Nous allons, par exemple, présenter les présidents de la 5ème République en réalisant un travelling arrière, du passé au présent. J’aime cette idée de l’architecture de l’information, de data visualisation où l’on sert un propos éditorial. On peut décrypter ainsi un enjeu démocratique à travers la forme.

MEDIA +

Passez-vous une étape supérieure en termes de réalité augmentée ?

ARNAUD VINCENTI

Oui, c’est un enjeu d’innovation très important. On utilise les soirées électorales pour tester ces technologies, qui sont ensuite utilisées dans les autres rendez-vous d’information. Nous utilisons le logiciel UnReal Engine, au départ dévolu aux jeux vidéo, mais qui est de plus en plus utilisé pour les studios virtuels. En 2017, une cellule «Graphisme temps réel» a été créée à France Télévisions. Des développeurs, modélisateurs et opérateurs 3D y travaillent. De ce que nous allons proposer lors des soirées électorales, tout a été fait à 90% en interne avec l’atelier vidéographie de la Fabrique qui réalise le design.

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L’habillage est-il pensé à l’échelle du groupe ?

ARNAUD VINCENTI

Oui, c’est un habillage global, sur l’ensemble des antennes linéaires et non linéaires. Nous avons déployé plus de 12 ordinateurs graphiques sur l’ensemble du réseau de façon à ce que les éditions de France 3 puissent alimenter leurs éditions le lendemain des résultats. Avec 1ère Outre-mer, des génériques en polynésien ont été créés pour être au plus proche des attentes de nos concitoyens ultramarins. C’est un vrai déploiement artistique. franceinfo (canal 27) utilise aussi la réalité augmentée au-dessus de leur atrium.

MEDIA +

Pour la construction du décor, avez-vous modélisé le plateau en 3D ?

ARNAUD VINCENTI

Oui, nous avons testé ce que le Metavers peut nous apporter comme agilité sur la construction virtuelle du décor. Nous l’avons modélisé de façon collaborative en étant en distanciel avec Jérôme Revon, le réalisateur de la soirée, Franck Fellman en charge du décor et les designers de l’atelier vidéographie. Nous avions un casque sur la tête pour visualiser le décor et les espaces dans le hall. On a pu se promener et se déplacer dans le décor. Cela a permis d’éprouver la distance des prompteurs, d’avoir un ressenti environnemental de la hauteur du hall, d’observer les grandes perspectives. C’est une façon innovante de prédire bien avant la construction du décor, les écueils et les avantages d’un tel dispositif.