C. ROY (CANAL+) : «Tout l’édifice du financement de la création repose sur la territorialité des droits»

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«La régulation européenne pourra-t-elle sauver le soldat audiovisuel français ?», tel était le thème du récent petit déjeuner des Assises de la Convergence Médias. Pour nous éclairer sur ce sujet, média+ s’est entretenu avec Christophe ROY, Directeur des Affaires Européennes du Groupe CANAL+.

média+ : Face à des acteurs internationaux comme Netflix, les réglementations audiovisuelles nationales rendent-elles les chaînes implantées en Europe particulièrement vulnérables ?

Christophe ROY : La distorsion de concurrence qu’il peut y avoir entre de grands acteurs mondiaux et des acteurs locaux du marché de la télévision est l’un des problèmes fondamentaux auxquels nous sommes confrontés en ce moment. On se retrouve face à des acteurs qui, globalement, sont beaucoup moins réglementés que nous. Non seulement, ils n’ont pas les mêmes obligations de financement sur la création, mais en plus, ils pratiquent l’optimisation fiscale de manière très intensive. Ce sont des acteurs qui structurellement ont des avantages puisqu’ils ont des moyens considérables d’investissement. Netflix a annoncé investir plus de 6 milliards d’euros dans la création de contenus en 2016. Ce sont des acteurs qui peuvent amortir ces investissements colossaux sur des bases d’abonnés mondiales qui sont elles-mêmes très importantes.

média+ : Quelles sont initiatives pour réduire ce déséquilibre dans le secteur audiovisuel ?

Christophe ROY : Au niveau européen, l’un de nos leitmotivs est de trouver un moyen de réduire cette distorsion de concurrence avec les grands groupes audiovisuels internationaux. L’idée est de les intégrer dans un mécanisme plus vertueux de financement de la création avec des obligations plus proches des nôtres. En ce moment à Bruxelles, des pistes apparaissent à la Commission européenne, notamment dans la directive «droit d’auteur». Une des dispositions du «value gap» a pour objectif de faire reconnaître que les plateformes de vidéo n’ont pas seulement un rôle passif d’hébergeurs de contenus, mais qu’elles peuvent avoir un rôle actif dans la création de contenus. La logique est de les pousser à sceller des accords avec les ayants droit et d’obtenir des licences.

média+ : La commission européenne a lancé en 2015 une réflexion visant à aboutir à la création du marché unique de la télévision. Est-ce une bonne chose ?

Christophe ROY : Là-dessus, nous sommes beaucoup plus réservés. Sur l’objectif final, nous voulons bien entendu que nos contenus soient les plus largement disponibles. Nous avons une politique de ventes de nos créations originales partout en Europe. CANAL+ est de plus en plus impliqué dans les coproductions. C’est le cas de la plupart de nos grandes séries : «Versailles», «The Young Pope», «Jour Polaire»… En revanche, la Commission européenne semble considérer que pour créer ce marché unique numérique, il faut mettre fin au principe de territorialité des droits et donc au géo-blocage des contenus. Nous sommes en désaccord avec cette approche, comme tous les acteurs de la création au sens large, des diffuseurs aux ayants droit en passant par les ligues sportives. Tout l’édifice du financement de la création repose sur cette territorialité des droits. Cinéma comme séries s’ingèrent dans une industrie de prototype. La valeur d’un contenu est enrichie grâce à tous les efforts de marketing et de médiatisation tout autour. Ces efforts s’obtiennent territoire par territoire, au plus près des goûts des publics.    

média+ : La libre circulation des programmes audiovisuels au sein de l’Union Européenne est-elle la meilleure parade pour lutter contre la concurrence ?

Christophe ROY : Là encore, nous sommes tout-à-fait favorables à ce que le contenu circule. Maintenant, il faut faire attention. Pour trouver des financements, il faut continuer à avoir des exclusivités territoriales. Si CANAL+ ou Sky mettent autant d’argent dans une série, c’est parce qu’ils sont sûrs qu’ils pourront exploiter en exclusivité sur leur territoire le contenu, sur une fenêtre, pour un temps donné.