«Grey’s anatomy», «Dr House», et plus récemment «Nina», production made in France… on ne compte plus les séries télévisées médicales depuis le phénomène «Urgences». Chez les soignants, ces fictions suscitent autant l’exaspération que l’adoration. «L’infirmière superwoman ! Série très représentative de la réalité dis donc», ironise dans un tweet une étudiante infirmière devant la 2ème saison de «Nina» sur France 2. «J’espère que les (téléspectateurs) sont conscients que ça n’a rien à voir avec la réalité», s’inquiète une autre sur le même réseau. «Conscients» ou pas, ils sont plus de 3 millions à suivre chaque mercredi l’infirmière interprétée par Annelise Hesme, dans son quotidien à l’hôpital Madeleine Brès. Problème, la série hérisse la communauté qu’elle veut, une fois n’est pas coutume, mettre en avant. En cause, les nombreux «clichés» véhiculés par Nina, tiraillée entre 2 médecins. Fin septembre, le site spécialisé Infirmiers.com fustigeait ainsi le retour de «la super-infirmière» dans son «monde de bisounours», à l’heure où «d’autres subissent des conditions de travail déplorables». La série tente pourtant d’aborder les problèmes qui fâchent (souffrance au travail, restructurations, manque de personnels). Mais rien n’y fait : «le décalage entre la réalité du métier et sa représentation nous énerve beaucoup», explique Laurent Four, infirmier et reporter d’images de 42 ans. Nina «passe son temps à se balader», se dévoue à 2 patients quand elle devrait «être débordée» par une dizaine d’autres. Surtout, elle participe à la «pose des diagnostics alors que ce n’est pas son rôle». Représenter «une fois de plus les infirmières comme des médecins frustrés, c’est ce qui nous agace le plus», résume M. Four. A l’inverse, les médecins trouvent beaucoup plus leur compte dans les séries médicales américaines, qui suscitent d’autant plus leur enthousiasme qu’ils y tiennent souvent le haut de l’affiche. Certes, elles regorgent d’inepties ou d’exagérations (trop de catastrophes, de beaux docteurs, d’amourettes…).
Mais la qualité des scénarii, écrits avec des blouses blanches, et leur production soignée séduisent. Gériatre dans un hôpital parisien, Christophe Trivalle s’est amusé à sonder ses confrères sur Twitter, leur demandant «quelle série» leur avait donné envie d’exercer. Lui-même en regarde, comme «Grey’s anatomy», «très documentée» sur les innovations chirurgicales, dit-il. Mais c’est «Urgences» qui est arrivée en tête des «387 votes». Vingt ans après sa 1ère diffusion sur France 2, la série de l’ancien médecin Michael Crichton reste la référence. Silvia, interne en cardiologie de 28 ans, lui doit sa vocation. «C’était le rituel du dimanche soir avec mes parents, tous les 2 médecins, qui commentaient tout», se remémore la jeune femme. A l’époque, le grand public découvre un vocabulaire technique et précis («NFS, chimi-iono, gaz du sang») en même temps que George Clooney. Les soignants apprécient eux «la justesse des interactions» humaines et hiérarchiques, se reconnaissant dans l’hôpital comme «lieu de vie extraordinaire», d’après une enquête de la sociologue Sabine Chalvon-Demersay. Reste qu’en France, «les entorses» sont «heureusement» plus courantes que «les plaies par balles», concède aujourd’hui Silvia. Michel, interne du même âge, aime lui «Grey’s anatomy» pour son côté «glamour et sexy». «On est tous moches à l’hôpital, avec nos blouses, nos charlottes… Là on se dit «en fait on est trop des beaux gosses»», plaisante-t-il. Preuve de leur succès, ces séries sont utilisées dans certaines facs de médecine américaines. Pour aborder les questionnements éthiques, le rapport aux patients, les erreurs, tout en captivant les étudiants.