Les séries françaises manquent cruellement de réalisme

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Réalistes, touchant à des thématiques de société délicates comme la diversité ou l’homosexualité, les séries américaines ont une belle longueur d’avance sur les françaises, pour la plupart «pas efficaces», «lentes» et «chiantes», ont estimé des spécialistes du secteur dimanche. Lors de deux tables rondes sur les séries organisées par le «Nouvel observateur», philosophes, scénaristes, historiens, éditeurs ou producteurs ont vanté en choeur une série «extraordinaire»: l’américaine «Sur écoute» («The wire»). Créée par David Simon et diffusée entre 2002 et 2008, elle raconte de façon très réaliste la ville de Baltimore, à travers ses gangs, ses policiers, ses personnalités politiques et ses médias. Elle «a une ambition sociologique extraordinaire. On y aborde les problèmes de drogue, de trafics, de prostitution, de politique, d’éducation, des médias. La description de Baltimore est précise et exacte», relève Sandra Laugier, philosophe spécialisée en culture populaire. «J’étais fasciné, devenu «addict» aux personnages. En même temps, j’étais en pétard contre les Français incapables de faire la même chose», souligne de son côté Mathieu Bauer, metteur en scène et directeur du nouveau théâtre de Montreuil. Il s’en est d’ailleurs inspiré pour créer «La faille», une pièce de théâtre sous forme de série autour de la problématique du logement à Montreuil. Une série comme «The wire» serait-elle envisageable en France? Non, ont tranché les participants des tables rondes. Car «The wire» touche des «sujets comme la diversité ou l’homosexualité, et atteint un niveau de réalisme que les chaînes françaises ne souhaitent pas aborder, de peur de segmenter l’audience», selon Anne-Marie Paquet-Deyris, spécialiste de littérature afro-américaine et fan de séries. «Aucune chaîne ne veut prendre le risque de se lancer dans ce genre de projet, même si plusieurs scénarios sont déjà écrits et se déroulent à Lille ou Marseille», relève-t-elle. «Trop lentes», «trop longues», «peu réalistes», voire «oniriques», tels sont les écueils de la série française. «Il y a un manque d’efficacité. C’est chiant, c’est répétitif, c’est lent. Les gens zappent», résume Frédéric Krivine, scénariste, qui a pourtant coproduit le très populaire «Un village français». Pour Hervé Hadmar, réalisateur («Les oubliées», «Pigalle la nuit»), les professionnels français souffrent d’»un manque de maîtrise de l’écriture» des scénarios. Marc Herpoux, scénariste («Pigalle la nuit», «Signature»), lui, estime que la série américaine bénéficie «d’un investissement intellectuel qu’on n’a pas encore en France». Le problème des auteurs français est également lié au fait que les chaînes soient obnubilées par les audiences. «Je ne comprends pas très bien pourquoi les mentalités n’ont pas évolué après la fin de la publicité à la télévision publique. On reçoit un coup de fil le lendemain d’une diffusion s’il y a une baisse d’audience d’un demi-point, ça n’a pas de sens», raconte Philippe Triboit, réalisateur et coproducteur d’«Un village français». «Le système français ne donne pas suffisamment de marge de manoeuvre aux auteurs. Certaines chaînes ne pensent qu’en terme d’audimat», renchérit M.Herpoux. Pour Sandra Laugier, les Américains considèrent la série avec beaucoup plus de sérieux qu’en France. «Il n’y a qu’aux Etats-Unis qu’on confie l’écriture d’un scénario de série à un grand écrivain. On considère que la série est -sinon du grand art- une production qui doit avoir un impact sur le plus vaste public».