Jean-Claude Barny signe un biopic sur le penseur martiniquais et figure majeure de l’anticolonialisme, Frantz Fanon

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Figure majeure de l’anticolonialisme, Frantz Fanon «peut remettre un peu de justesse» dans le monde, estime le réalisateur guadeloupéen Jean-Claude Barny qui a signé un biopic sur le penseur martiniquais, présenté tout récemment en avant-première à Marrakech. Dans «Fanon», Jean-Claude Barny dresse un portrait saisissant de l’auteur de «Peau noire, masques blancs» durant son séjour entre 1953 et 1956 en Algérie sous la colonisation française. Une période cruciale pour le psychiatre et essayiste qui y articule sa réflexion sur la violence du colonialisme et la nécessité de s’en affranchir. «Le défi technique, c’était de faire apparaître à l’écran la psyché de Fanon. C’est pour ça qu’on a opté pour une voix-off et des flashbacks dans lesquels il écrit «Les damnés de la terre»», son dernier essai, paru en 1961, année de sa mort à 36 ans, explique Jean-Claude Barny. «Je ne voulais pas faire un film trop bavard mais plutôt donner à voir des images, des choses poignantes aux spectateurs et créer le sentiment qu’ils participent à l’aventure de Fanon de l’intérieur», précise le réalisateur de 59 ans, interviewé pendant le Festival du film de Marrakech. L’aventure de Fanon commence à l’hôpital psychiatrique de Blida, au sud-ouest d’Alger, où il est affecté comme médecin-chef. Il découvre les conditions d’internement pitoyables de patients algériens et se bat pour imposer une approche thérapeutique humaine. Son combat s’étend en dehors de l’enceinte de l’hôpital lorsqu’il prend contact avec des résistants du Front de libération nationale (FLN), en lutte pour l’indépendance, que le psychiatre aide et soigne clandestinement. Le discours méprisant des colons français à l’égard des Algériens, les assassinats sommaires, la terreur de la répression sont dépeints avec force dans le film. Pour ce troisième long-métrage, qui doit sortir en France en avril, Jean-Claude Barny a voulu «faire du beau cinéma destiné au très grand public et à la fois lui donner une conscience». La violence décrite par Fanon «arrive aujourd’hui à un point culminant et le film arrive à un point nommé pour avoir une sorte de totem pour dire que la justesse existe en nous», dit-il. A propos du conflit israélo-palestinien, il estime qu’«on ne peut pas continuer à accepter qu’on occupe, qu’on discrimine, qu’on colonise, qu’on arrache (des personnes) à leur terre, qu’on dépèce, qu’on tue avec mépris». «Il va falloir qu’on fasse un choix» et des oeuvres comme celle de Frantz Fanon «peuvent remettre un peu de justesse là-dedans», ajoute-t-il. «Quand tu n’as pas d’outil, pas de pédagogie, pas de matière pour pouvoir défendre la parole la plus sincère, il faut retrouver ce qui s’est passé dans l’histoire». Réalisateur notamment de «Neg marron» (2005) et «Le gang des Antillais» (2016), Jean-Claude Barny est l’auteur de la série télévisée «Tropiques amers», fresque historique sur l’esclavage aux Antilles. Ce nouveau film a mis dix ans à voir le jour, en raison de «contraintes financières» mais également pour parvenir à apprivoiser la pensée de Fanon qui l’accompagne depuis son adolescence. Des années à écrire, chercher le bon casting, réfléchir aux plans, au storyboard, à la lumière. Faute d’autorisation pour tourner en Algérie, il a déplacé son tournage, qui a duré deux mois, en Tunisie pour les plans extérieurs et au Luxembourg pour les séquences en intérieur. C’est aussi en Tunisie que Frantz Fanon s’était installé en 1957 après avoir dû quitter l’Algérie. A Tunis, il poursuivra son activisme pour l’indépendance de l’Algérie et son travail d’écriture, avant de mourir d’une leucémie en 1961. A sa demande, il sera inhumé dans son pays d’adoption, l’Algérie.