P. BAILLY (NPA Conseil) : « 30% des abonnés à la SVoD sont clients d’une offre avec publicité »

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Alors que les plateformes de streaming intègrent de plus en plus des offres avec publicité dans leur stratégie, les résultats du dernier Baromètre des Usages Audiovisuels NPA Conseil / Harris Interactive révèlent que 30% des abonnés français ont opté pour ce type de forfait. Tour d’horizon avec Philippe BAILLY, Président de NPA Conseil qui nous éclaire sur les enjeux et les perspectives de ce virage stratégique.

Pourquoi Prime Vidéo affiche-t-elle 70% d’abonnés avec publicité, alors que Netflix est loin derrière ?

C’est une question de stratégie. Prime Vidéo a pris une décision radicale : en avril, elle a basculé tous ses abonnés sur un forfait avec publicité par défaut. Ceux qui souhaitaient éviter la publicité devaient soit annuler leur abonnement, soit souscrire à une option payante à 2 € par mois pour rester sur une offre sans publicité. Les autres plateformes (Disney+, Max et Netflix) ont adopté une approche différente. Elles ont créé un nouveau forfait avec publicité, laissant à aux abonnés la possibilité de changer d’offre s’ils le souhaitaient. Cette différence explique pourquoi Prime Vidéo a connu une montée en puissance beaucoup plus rapide de son forfait publicitaire par rapport aux autres services de streaming.

Quels mécanismes fonctionnent le mieux pour inciter les abonnés à opter pour les offres avec publicité ?

Historiquement, la méthode la plus efficace a été de basculer tous les abonnés vers une offre avec publicité, comme l’a fait Prime Vidéo. Un autre levier qui émerge aujourd’hui est l’intégration des services de SVoD dans des forfaits combinés, comme ceux proposés par CANAL+ ou certains fournisseurs d’accès Internet. Par exemple, dans le forfait Ultra de Free, Netflix, Disney+ et Prime Vidéo sont inclus, mais avec publicité. Aux États-Unis, on observe également une montée en puissance des forfaits combinant accès Internet et SVoD avec publicité, ce qui contribue à populariser ces offres.

Quels freins ou opportunités voyez-vous pour l’adoption des offres publicitaires en Europe par rapport aux États-Unis ?

Le principal frein est culturel et lié aux habitudes de consommation. Aux États-Unis, la publicité est omniprésente, même sur les chaînes de télévision traditionnelle, avec souvent 15 à 20’ de pubs par heure. En comparaison, les offres de SVoD avec publicité, qui proposent seulement 3 à 4’ de publicités par heure, sont perçues comme beaucoup moins intrusives. En Europe, où la publicité est moins présente dans les habitudes de consommation, les abonnés pourraient être plus réticents. Côté opportunités, Disney+ a accéléré l’adoption de son offre avec publicité grâce à des partenariats comme avec le câblo-opérateur Charter aux États-Unis, qui inclut automatiquement Disney+ avec publicité dans ses abonnements. Des accords similaires avec des opérateurs européens pourraient avoir le même effet pour encourager une adoption plus large.

Les forfaits avec publicité peuvent-ils compenser ou surpasser les revenus des abonnements traditionnels ?

L’objectif des plateformes est d’équilibrer les revenus : un abonné avec publicité doit rapporter autant qu’un abonné qui paye 13,49 € par mois sur Netflix par exemple. Netflix a d’ailleurs indiqué que les revenus publicitaires de ses abonnés avec publicité compensent déjà la baisse du prix d’abonnement. Pour atteindre cet équilibre, un utilisateur doit regarder environ deux heures de contenu par jour, un niveau d’écoute déjà observé chez Netflix au niveau mondial. Ces offres avec publicité attirent une clientèle plus large grâce à des prix réduits, mais le défi reste d’assurer un contenu suffisamment qualitatif pour fidéliser les spectateurs et maintenir une consommation régulière. Sans cela, le modèle publicitaire pourrait s’avérer moins rentable.

Netflix et Prime Vidéo adoptent des approches différentes pour leurs offres publicitaires. Quelles pratiques semblent les plus efficaces pour maximiser l’engagement des abonnés ?

Un facteur clé pour maximiser l’engagement est le rythme de mise en ligne des programmes. À l’origine, Netflix et d’autres plateformes proposaient tous les épisodes d’une série en intégralité, favorisant le binge-watching. Si cette méthode était populaire, elle présentait un inconvénient majeur : les abonnés consommaient rapidement tout le contenu, réduisant ainsi la durée d’engagement autour du programme et dilapidant l’investissement de la plateforme en quelques jours. Aujourd’hui, beaucoup de plateformes adoptent un modèle plus proche de la télévision traditionnelle, en diffusant un épisode par semaine. Cependant, ce rythme peut créer de la frustration chez les abonnés, surtout si la série n’est pas assez captivante pour les maintenir engagés sur plusieurs semaines. L’efficacité semble résider dans un juste équilibre : trouver un rythme de mise en ligne plus rapide, tout en maintenant la qualité et l’intérêt des contenus pour fidéliser les spectateurs.

Les abonnés sont-ils plus fidèles ou plus enclins à changer de plateforme avec l’introduction des offres publicitaires ?

L’impact de la publicité sur la fidélité des abonnés est encore flou. Cependant, on observe des différences : aux États-Unis, les abonnés sont très volatiles et changent fréquemment de plateforme, tandis qu’en Europe, ils ont tendance à être un peu plus fidèles. Ce qui semble favoriser la fidélité, notamment aux États-Unis, ce sont les abonnements groupés. Lorsqu’un abonnement combine plusieurs services (plateformes SVoD et accès Internet), il devient plus difficile pour l’utilisateur de se désabonner, car il ne renonce pas seulement à un service unique, mais à un ensemble d’avantages. Ce modèle pourrait s’avérer stratégique pour limiter la volatilité des abonnés.

Les spécificités culturelles et économiques en Europe nécessitent-elles une adaptation des offres publicitaires ?

En France, notre Baromètre montre que le contrat implicite entre les plateformes et les consommateurs est bien compris : payer moins cher (ou accéder gratuitement) en échange de publicités est une proposition généralement acceptée. Tant que cet équilibre est respecté, il peut favoriser la fidélisation. Pour répondre aux attentes des consommateurs français, les plateformes doivent cependant veiller à limiter l’intrusion des publicités et à maintenir une expérience utilisateur qualitative. Le volume, la fréquence et la pertinence des annonces seront des critères clés pour garantir l’adhésion. Netflix, qui rejetait l’idée de la publicité il y a encore 10 ans, illustre l’importance de s’adapter aux évolutions des attentes et des conditions de marché. La capacité des plateformes à ajuster leurs modèles selon les spécificités culturelles et économiques sera déterminante pour réussir en Europe.