Dans un lieu surplombant la mer en Guadeloupe, le festival «Lire au grand large» a tenté pendant trois jours de «rapprocher» enfants et parents de la lecture. Un défi dans l’archipel caribéen, où le livre est un «produit de luxe», relève l’écrivaine Estelle-Sarah Bulle. Pour sa quatrième édition, qui s’est achevée samedi au fort Fleur d’Epée du Gosier, la manifestation s’est penchée sur la jeunesse. «Le but c’est de rapprocher les enfants, et bien sûr leurs parents, du livre», explique Gérard Lamoureux, fondateur des éditions Long Cours et organisateur du festival. L’enjeu est de taille dans le territoire antillais, où cette filière économique est en grande difficulté. En avril dernier, une étude de la direction des affaires culturelles (DAC) de Guadeloupe et des Îles du Nord a posé un diagnostic largement partagé: le secteur manque de professionnels formés, dans l’édition comme dans l’écriture ou l’animation des médiathèques. Des carences que les acteurs de la chaîne mettent en parallèle avec le taux d’illettrisme, qui dépasse les 20% dans l’archipel. Ses habitants ont «une vraie appétence pour les objets culturels en général et le livre en particulier», estime pourtant la romancière d’origine guadeloupéenne Estelle-Sarah Bulle, invitée de «Lire au grand large». Mais «c’est un produit de luxe, vendu plus cher aux Antilles», fait-elle valoir. Le prix du livre est en effet majoré d’1,15 euro en outre-mer, à quoi s’ajoute le taux d’octroi de mer décidé par la Région. Et c’est en Guadeloupe que le taux de cette taxe sur les importations est le plus élevé parmi les départements ultramarins, à 2,5% du prix. En outre, renchérit l’écrivaine, «il est difficile de trouver des librairies bien achalandées et les réseaux de médiathèques sont difficiles à mobiliser» dans l’archipel guadeloupéen. Le territoire de près de 380.000 habitants compte une trentaine de bibliothèques publiques dont l’«efficience» souffre de problèmes budgétaires et de ressources humaines, selon Nathalie Erny, conseillère à la DAC. En Guadeloupe, on dépense peu pour acquérir des ouvrages et autres documents de bibliothèque: 0,6 euro par habitant, quand le Centre national du livre (CNL) préconise un minimum de deux euros par an et par habitant «pour les achats de livres et abonnements», d’après un document du ministère de la Culture. Conséquence: des médiathèques aux fonds un peu poussiéreux, rarement renouvelés. Localement, l’auto-édition représente près d’un tiers de l’offre, «nuisant ainsi à la qualité» des productions, selon le diagnostic de la DAC en avril. La confusion règne parfois sur les étalages des librairies, où se côtoient des ouvrages auto-édités parfois criblés de fautes d’orthographe et des livres au processus de fabrication plus professionnel. «Les salons manquent ou sont annulés, on n’a pas de critiques littéraires, d’émissions spécialisées» et les médias «accordent autant voire plus de place à un auteur auto-proclamé qu’à un auteur confirmé», déplore le poète Didyer Mannette, initiateur d’une maison dédiée à la production d’écrivains locaux. Editer un livre en Guadeloupe exige de «considérer le marché dans lequel il s’inscrit», souligne Florent Charbonnier, patron de Caraïbes Éditions, dont deux romans ont été retenus dans la récente rentrée littéraire. Et il faut composer avec la fermeture des librairies ou points de vente: 24 ont baissé rideau entre 2015 et 2023. «Une solution à la structuration de la filière serait la création d’une agence régionale du livre» pouvant «coordonner tout ce monde, qui en plus a du mal à se parler», remarque Nathalie Erny de la DAC. La Région prévoit de lancer mi-octobre un groupement d’intérêt public «dédié à la culture, avec un volet livre» promet Jean-Claude Nelson, l’élu régional chargé de ce dossier.