Menacés par l’IA, les stars du doublage se mobilisent

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Ils ne foulent pas le tapis rouge mais comptent se faire entendre : menacés par l’IA, les stars du doublage, qui prêtent leur voix à Brad Pitt et autres Homer Simpson, se mobilisent pour préserver un art de l’ombre de plus en plus mis en avant. Avec la multiplication d’outils, comme HeyGen, Eleven Dubs ou Deepdub, qui permettent de cloner des voix et de traduire des vidéos en plusieurs langues tout en adaptant les mouvements de lèvres, leur métier est en 1ère ligne face aux progrès exponentiels de l’IA dite générative. Au total, 12.500 emplois (comédiens, traducteurs, techniciens..) dans 110 entreprises de la filière sont «potentiellement menacés» dans l’Hexagone, relèvent jeudi l’association professionnelle Les Voix et le Syndicat français des artistes-interprètes CGT, s’appuyant sur une étude du groupe de protection sociale Audiens. L’«automatisation» et la «délocalisation» du doublage «pourrait engendrer une perte d’activité rapide et massive» dans cette industrie pesant près de 700 millions d’euros de c.a., expliquent dans un communiqué ces organismes, qui militent pour une régulation de l’IA. «Ça va être une catastrophe (…) il faut que tout le monde se réveille», s’alarme l’acteur Jean-Pierre Michaël, voix française de BradPitt et Keanu Reeves. Dans les prochains jours, une vidéo réunissant 40 personnalités du secteur, comme Brigitte Lecordier (Son Goku dans «Dragon Ball»), sera diffusée sur les réseaux sociaux pour alerter le grand public et la ministre de la Culture Rachida Dati, s’ajoutant à la pétition «Touche pas à ma VF» signée près de 30.000 fois depuis janvier. Du pillage de données personnelles (comme la voix) pour alimenter des logiciels au remplacement pur et simple des humains, les craintes suscitées par l’IA ont été mises en lumière dès l’année dernière avec la grève historique à Hollywood. «Malheureusement, les acteurs (via leur syndicat SAG-AFTRA) ont lâché sur un certain nombre de choses absolument cruciales» dans leur accord avec les studios, déplore le co-fondateur des Voix, Patrick Kuban, voix off sur Canal+ notamment. Ils ont en particulier abandonné «la faculté, dans leurs contrats, de donner leur consentement pour être doublé dans une version étrangère en IA dans le monde entier», regrette M. Kuban. Si, demain, les voix de Matt Damon ou Julia Roberts sont «exploitées dans le doublage de tous les pays en n’importe quel dialecte, nous, on n’a plus de raison d’être», s’inquiète Philippe Peythieu, interprète d’Homer dans «Les Simpson». Cette perspective inquiète d’autant plus que les acteurs de l’IA «sont en train de contractualiser directement à Hollywood», assure Patrick Kuban, rappelant qu’Eleven Labs a rejoint cette année l’incubateur de start-up de Disney. «Les studios vont pouvoir générer directement des versions doublées par des machines pour le marché européen», anticipe-t-il, invoquant un sujet de souveraineté nationale et d’accès à la culture, alors que films, séries et dessins animés étrangers restent majoritairement consommés en VF. Conditionnement des aides publiques, quotas d’humains à l’image et au son à respecter pour obtenir des visas d’exploitation… Diverses solutions sont proposées pour préserver «l’exception culturelle française», selon M. Kuban. «Pas question» pour autant de tirer un trait sur l’IA, qui «va apporter énormément de choses», estime Jean-Pierre Michaël. Elle s’avère ainsi «hyper utile» pour certaines tâches, comme la synchronisation des voix sur la bouche des personnages, constate la comédienne Adeline Chetail, qui a doublé le jeu vidéo tiré d’Harry Potter «Hogwarts Legacy». Taulier du doublage (Harrison Ford, Buzz L’Eclair…), Richard Darbois «ne croit pas trop» à la capacité de l’IA à retranscrire «les sentiments». Pour faire passer son message, le secteur pourra surfer sur la notoriété renouvelée de ses comédiens, vedettes des réseaux sociaux et des conventions de fans.

«Beaucoup de gens qui nous entendent depuis l’enfance sont extrêmement bouleversés quand ils nous rencontrent (…) On fait partie de leur vie d’une certaine façon», confirme Jean-Pierre Michaël.