Livrer ses données ou s’abonner : nouveau pas vers un Internet payant

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Après X (ex-Twitter), Facebook et Instagram lancent à leur tour des abonnements payants pour des versions sans publicité, uniquement pour les Européens qui refuseront les publicités ciblées. Un nouveau pas vers un Internet payant. Leurs utilisateurs dans l’UE, la Suisse, et le reste de l’Espace économique européen (Islande, Norvège, Liechtenstein) «auront le choix de continuer à utiliser gratuitement» les deux réseaux sociaux en consentant à livrer leurs données personnelles «ou de s’abonner pour ne plus voir de publicités», a annoncé le groupe Meta, leur propriétaire. Courant novembre, pour l’ensemble de ses comptes Instagram ou Facebook, chaque abonné devra débourser 9,99 euros par mois s’il règle via ordinateur, ou 12,99 euros s’il passe par les applications sur smartphones, a précisé le géant américain. Facebook et Instagram comptent respectivement 144 et 133 millions d’utilisateurs réguliers en Europe hors Royaume-Uni, selon Insider Intelligence. Proposer des abonnements payants représente un changement radical d’approche pour le groupe de Mark Zuckerberg, qui avait promis que Facebook serait «toujours» gratuit. Déjà depuis début 2023 X, confronté à une fuite de ses annonceurs, a lancé des formules payantes, d’abord pour obtenir des badges de certification, puis pour masquer les publicités. Elon Musk a même suggéré en septembre que X pourrait devenir intégralement payant, ce qu’il teste depuis 2 semaines aux Philippines et en Nouvelle-Zélande, pour moins d’un euro par an. Suivant ses traces, en février 2023 Meta a amorcé un changement de stratégie en proposant un badge de certification payant. Tiktok teste également depuis début octobre un abonnement payant sans publicité. Et cela fait longtemps – depuis 2018 – que YouTube a fait le choix de proposer des abonnements payants sans publicité. Pour le Français Jean Cattan, secrétaire général du Conseil National du numérique, «on assiste à la conversion du modèle de la plupart des réseaux sociaux, avec un passage du gratuit vers le payant. Mais il faut une régulation qui veille à l’absence de monopole», s’inquiète-t-il, au vu du poids combiné de WhatsApp, Facebook, Instagram et Threads, tous détenus par Meta. Autre sujet de préoccupation, la mise en avant des messages des abonnés. «S’il faut payer sur tous les réseaux demain, les riches pourront davantage s’exprimer», avertit-il. «On irait à l’encontre de la neutralité du net et d’un traitement égal des utilisateurs, défendus en droit européen au nom de la liberté d’expression». Meta et Google ont bâti leur empire sur des services gratuits financés par des publicités ciblées, grâce aux données personnelles de leurs milliards d’utilisateurs. «Si c’est gratuit, vous êtes le produit», lançait en 1973 l’artiste Richard Serra. Mais depuis quelques années, l’UE lutte contre le pistage des internautes sans leur consentement, d’abord avec le règlement européen sur la protection des données (RGPD) de 2016, puis avec le règlement sur les marchés numériques (DMA), entré en vigueur cet été. Les plateformes numériques concernées ont jusqu’au 6 mars 2024 pour s’y conformer. Meta est déjà sous pression: en mai dernier, Facebook a écopé d’une amende record de 1,2 milliard d’euros du régulateur irlandais, au nom de l’UE, pour avoir enfreint le RGPD. Début septembre, la justice norvégienne a débouté Meta qui demandait la suspension d’une interdiction de la publicité comportementale sur Facebook et Instagram, ce qui lui vaut une amende quotidienne dans le pays. Avec le risque que cette amende soit étendue ailleurs en Europe. «La poursuite par Meta d’abonnements sans publicité en Europe devance certains aspects du futur règlement européen sur les services numériques», a souligné Jeremy Goldman, analyste chez Insider Intelligence.

«Sans la possibilité de personnaliser les publicités dans le cadre du nouveau règlement, Meta pense que ses recettes publicitaires pourraient chuter, ce qui l’incite à monétiser les utilisateurs par des abonnements», explique l’analyste. «La possibilité pour les gens d’acheter un abonnement sans publicité équilibre les exigences des régulateurs européens tout en donnant le choix aux utilisateurs», a fait valoir Meta.