Le Canada coupe Facebook et l’accès aux médias en pleine saison des feux 

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«C’est dangereux» : comme des milliers de Canadiens, Kelsey Worth a dû évacuer sa ville menacée par un gigantesque incendie de forêt. Une fuite rendue compliquée par l’impossibilité de trouver des informations fiables sur Facebook, qu’elle utilise habituellement pour s’informer. Car depuis le 1er août, Meta – propriétaire de Facebook et d’Instagram – bloque l’accès aux contenus d’actualité de médias sur ses plateformes, en riposte à une loi relative à l’information en ligne votée en juin par le gouvernement canadien. «C’était incroyablement difficile de trouver l’information, de savoir si l’évacuation avait été ordonnée ou pas», raconte Kelsey Worth, résidente de Yellowknife, principale ville des Territoires du Nord-Ouest. «Et en situation d’urgence, le temps presse. La loi canadienne va obliger les géants du numérique à conclure des accords commerciaux équitables avec les médias locaux sur les contenus diffusés sur leurs plateformes, sous peine de devoir recourir à un arbitrage contraignant. Mais avant même l’entrée en vigueur de la loi, Meta a choisi le blocage, arguant que «les médias d’information partagent volontairement du contenu sur Facebook et Instagram pour accroître leur lectorat». 

Une décision «épouvantable» : Face à l’état d’urgence provoqué par les incendies – de loin la pire saison des feux que le Canada n’ait jamais connu – le Premier ministre Justin Trudeau a vertement critiqué Meta, accusant l’entreprise de faire passer ses profits avant la sécurité des citoyens. «Ils préfèrent laisser les personnes en danger plutôt que de faire leur juste part pour appuyer la démocratie et le journalisme local», a-t-il déclaré cette semaine, parlant d’une décision «épouvantable», qui crée beaucoup de «frustrations». La nouvelle législation pourrait permettre aux médias canadiens de recevoir environ 330 millions de dollars canadiens (226 millions d’euros) par an, selon un rapport parlementaire publié en octobre 2022. «Meta pourrait lever temporairement son blocage dans le but de préserver des vies humaines et ne subirait aucune pénalité financière car la législation n’est pas encore entrée en vigueur», explique Ollie Williams, directeur de la station de radio nordique Cabin Radio, qualifiant ce blocage de «stupide et dangereux». 

Contourner le blocage : Lui et son homologue Nicolas Servel, directeur de Radio Taïga, ont noté que beaucoup d’internautes ont fait preuve de «malice» pour contourner le blocage. Ils ont «trouvé d’autres moyens de partager» ces informations vérifiées, explique M. Servel, notamment en faisant des captures d’écran des sites d’information et en les relayant ensuite sur leurs profils personnels. Résultat: Cabin Radio par exemple a vu son trafic en provenance de Facebook «baisser en continu», ce qui est «une bonne chose», selon Ollie Williams, car le nombre de visiteurs directs sur le site n’a lui «fait qu’augmenter». Le diffuseur public CBC/Radio-Canada a lui interpellé la direction de Meta cette semaine, évoquant une «question de vie ou de mort». «Je vous prie de faire le choix humanitaire qui s’impose et de lever immédiatement le blocage (…) pour les communautés menacées par les feux», écrivait mardi la PDG Catherine Tait. A cela, Meta a opposé une fin de non-recevoir, précisant avoir activé en réponse aux feux la fonction «contrôle de sécurité» sur Facebook, permettant à ses usagers de signaler à leurs proches être en lieu sûr.