L’Europe passe à l’offensive pour réguler Internet

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L’Union Européenne passe à l’offensive vendredi contre les dérives des géants du net: le DSA (Digital Services Act) obligera les grandes plateformes, comme Google, Facebook, X (ex-Twitter) ou TikTok, à agir davantage contre les contenus illicites, sous peine de lourdes amendes. Le principe du nouveau règlement européen sonne comme un slogan: ce qui est illégal hors ligne doit aussi l’être en ligne – ce qui, soulignent tous les experts, n’est pas si simple. Il faut trouver un délicat équilibre entre liberté d’expression, prépondérante, et lutte contre les abus qui menacent les droits fondamentaux ou la démocratie (perturbations des élections, désinformation, protection des mineurs…). Comment y parvenir? Le DSA cible les plateformes et non les utilisateurs: une série d’obligations s’imposera dès vendredi aux 19 plus grands réseaux sociaux, places de marchés et moteurs de recherche (Apple, Google, Microsoft, YouTube, Amazon, Facebook, LinkedIn, Wikipedia, TikTok, Snapchat, Instagram, X, Alibaba ou Booking). Comme avant, les plateformes ne sont ni juridiquement responsables des contenus qu’elles hébergent ni tenues de les repérer au préalable. Mais l’UE espère les pousser à installer un système efficace de contrôle, après dix ans de violence en ligne croissante.  Entre autres, elles devront proposer aux internautes un outil pour signaler facilement les contenus «illicites» (définis par les législations nationales ou d’autres textes européens), puis les retirer rapidement. Des «signaleurs de confiance» dans chaque pays (comme le site gouvernemental Pharos en France) verront leurs alertes traitées en priorité. Les sites marchands devront pouvoir tracer les vendeurs, pour réduire les fraudes. Leurs algorithmes seront aussi sous surveillance: elles devront expliquer le fonctionnement de leurs systèmes de recommandation et proposer des alternatives sans personnalisation. Côté publicité, le DSA interdit de cibler les mineurs ou les annonces basées sur des données sensibles (religion, orientation sexuelle, etc.). Le respect des règles sera contrôlé par des audits indépendants, sous l’oeil de Bruxelles. Toute infraction sera passible d’amendes pouvant aller jusqu’à 6% du c.a. mondial. Menace ultime, les récidivistes pourraient être interdits. «La mécanique de signalement et le recours à des signaleurs de confiance change la donne, ainsi que les audits contrôlés par Bruxelles», juge Eric Le Quellenec, avocat chez Simmons et Simmons. Ce contrôle est supervisé par un organisme collégial des 27, «afin d’éviter que des pays appliquent une définition trop large des contenus illicites, comme la Pologne ou la Hongrie», ajoute-t-il. «Cela fera reculer partiellement l’anonymat en ligne: on va tracer les vendeurs et ceux qui publient massivement des contenus illicites». «Est-ce que le DSA sera efficace ? On verra à l’usage. Mais c’est un système novateur car il instaure un dialogue permanent entre acteurs, régulateurs et utilisateurs. Il y aura aussi un «Brussels effect» au-delà de l’UE», relève Marc Mossé, avocat du cabinet August Debouzy. La Commission devra cependant se doter de moyens adéquats, étant donné la taille des services juridiques des GAFAM, souligne l’économiste Joëlle Toledano. Il faudra enfin veiller à préserver les libertés fondamentales: les experts soulignent la volte-face du Commissaire européen Thierry Breton qui, début juillet, après les émeutes en France, avait affirmé que le DSA permettrait de suspendre un réseau social s’il ne supprimait pas «immédiatement» des «appels à la révolte». Trois semaines plus tard, après une lettre ouverte de 65 organisations de défense de la liberté d’expression, Thierry Breton est revenu sur son propos en déclarant que seul un juge pourrait prendre une telle mesure. «On l’a vu rétropédaler. Il faut corriger les excès mais sans tomber dans l’excès inverse», note Marc Mossé. «Mais, sans éducation aux médias chez les jeunes, tout sera un peu vain».