Nouvel épisode des aventures d’un géant américain au pays de l’exception culturelle : Netflix a annoncé jeudi les détails de son «film club», des projections sur grand écran redoutées dans un secteur fragilisé par la crise. Depuis plusieurs jours, le milieu du 7e art s’indignait de l’intention supposée de Netflix d’organiser une série de projections dans des cinéma d’art et essai, qui peinent à remplir leurs salles depuis la pandémie et à faire face à l’avalanche de sorties de films. Finalement, le «Netflix film club», organisé à l’Institut Lumière à Lyon et à la Cinémathèque française, est bien plus modeste que le «festival» que redoutaient ces professionnels. Les acteurs du secteur craignaient une initiative qui puisse monter les exploitants anti-Netflix contre leurs confrères plus enclins à travailler avec la plateforme, mais ce sont finalement deux institutions non-commerciales qui ont été choisies. Trois films Netflix seront projetés en avant-première lors de ce «cycle» : «La Main de Dieu», chronique de l’enfance du cinéaste italien Paolo Sorrentino, et «The Lost Daughter», 1ère réalisation de l’actrice britannique Maggie Gyllenhaal, projetés en 1ère mondiale lors de la prestigieuse Mostra de Venise, ainsi que «Don’t Look Up: Déni Cosmique», une comédie avec Leonardo Di Caprio et Jennifer Lawrence. Les six autres sont des films déjà diffusés cette année sur la plateforme. Ce choix dispense aussi Netflix de demander une dérogation à la chronologie des médias, qui interdit en France aux films sortant en salles d’être diffusés simultanément sur d’autres canaux, pour préserver un réseau de cinémas unique au monde. Et le géant américain, qui fait les yeux doux depuis des mois au cinéma français, montant des programmes de formation ou produisant les nouveaux films de Jean-Pierre Jeunet ou Dany Boon, peut continuer de montrer sa bonne entente avec deux institutions de la cinéphilie. Il est déjà mécène, pour un montant non précisé, de la Cinémathèque Française, finançant la nouvelle restauration d’un film mythique, le «Napoléon» d’Abel Gance. Quant à l’Institut Lumière de Lyon, Netflix y était encore présent en force cette année pour le Festival Lumière, avec 4 films et un Prix Lumière remis à Jane Campion, dont le dernier film a été produit par la plateforme. L’institution a aussi la particularité d’avoir le même dirigeant, Thierry Frémaux, que le Festival de Cannes – ce dernier ne sélectionne pas de films de plateformes qui ne sortent pas en salles en France, au contraire par exemple de la Mostra. Cette programmation suffira-t-elle à rassurer les organisations professionnelles ? Elles étaient vent debout ces derniers jours, dénonçant un coup de poignard dans le dos alors que la chronologie des médias, plus vraiment adaptée aux bouleversements du secteur, est en passe d’être révisée après des mois de discussions entre les parties. Le cinéma indépendant, l’un des plus importants au monde et financé notamment par un système de redistribution des recettes en salles, était particulièrement inquiet. Les distributeurs indépendants dénonçaient une «attraction à court terme» pour les spectateurs, qui reviendrait à «un suicide à moyen terme» pour les cinémas. «Netflix a entendu les remarques de la profession et les arguments présentés, et ne va pas faire de concurrence à d’autres films dans des salles art et essai», se félicite jeudi le délégué général de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF), Marc-Olivier Sebbag. Cinémas et plateformes sont désormais dans une volonté de devenir des partenaires : «On n’est plus dans une période conflictuelle», assure-t-il, dans un contexte où la crise sanitaire a acté le triomphe des plateformes, qui investissent des milliards dans la production, sur le monde traditionnel du cinéma, qui peine à faire revenir les spectateurs en salle…