Iran: la série d’espionnage «Gando» de retour sur les écrans

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Honnie par les modérés mais encensée par les ultraconservateurs, la série d’espionnage iranienne «Gando», qui mélange réalité et fiction, est de retour à l’antenne de la télévision d’Etat après plusieurs mois d’interruption sans explication. La diffusion de la 2ème saison a repris en juillet, à peine plus d’un mois après la victoire de l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi à la présidentielle. Au rythme de 5 épisodes hebdomadaires de 45’ pendant un peu plus de 7 semaines, la série, à la gloire des Gardiens de la Révolution, l’armée idéologique iranienne, multiplie les attaques et les insinuations contre le gouvernement du modéré Hassan Rohani, prédécesseur de M. Raïssi. L’ex-président a été l’artisan d’une politique d’ouverture ayant permis en 2015 la conclusion de l’accord international sur le nucléaire iranien, mais il a vu ce succès diplomatique torpillé dès 2018 par l’ex-président américain Donald Trump et, à domicile, les ultraconservateurs. 

En mars, une vive polémique avait éclaté dès le 6ème épisode de «Gando», où il était question d’un espion au sein de l’équipe de négociation iranienne sur le nucléaire, et la diffusion du feuilleton avait été interrompue, sans motif. Le «gando» est une espèce de crocodile iranien. Par métaphore, le titre de la série désigne le héros, Mohammad, agent du contre-espionnage des Gardiens, embusqué tel ce saurien guettant une proie. La série le montre filant avec ses collègues tout espion étranger, surtout s’il est du MI6 britannique, dès son arrivée sur le territoire iranien. Elle dépeint aussi le gouvernement précédent, et tout particulièrement le corps diplomatique, comme autant de personnages médiocres, pusillanimes, ou corrompus. Fin août, l’Autorité judiciaire a annoncé la condamnation de 2 personnes, l’une pour «corruption», l’autre pour «espionnage», après vérification de certaines «révélations» de la série. «Gando» a été perçue par plusieurs commentateurs en Iran comme participant d’une manoeuvre de déstabilisation du gouvernement Rohani. Plusieurs personnalités ultraconservatrices ont accusé le gouvernement Rohani d’être à l’origine de l’arrêt de la série, ce que le gouvernement a démenti. Ridiculisé dès la 1ère saison, diffusée en 2019, Mohammad Javad Zarif, ministre des Affaires étrangères de M. Rohani, avait qualifié au printemps «Gando» de «mensonge du début jusqu’à la fin» lui ayant gravement nui personnellement. Si les Etats-Unis et Israël apparaissent comme les deux grands ennemis de la République islamique, ceux-ci, à la différence de Londres, n’ont pas d’ambassade à Téhéran. La 2de saison s’ouvre sur une scène dans un endroit désertique insinuant que des agents français ont livré à Téhéran Rouhollah Zam, opposant iranien en exil dont les Gardiens avaient annoncé l’arrestation en 2019. Zam, qui a vécu plusieurs années en France, a été pendu en décembre 2020. Le scénario enchaîne sur la traque de la méchante de la série, Charlotte, espionne britannique agissant à Téhéran sous couverture diplomatique.Pour l’agence Fars, réputée proche des ultraconservateurs, Charlotte incarne Kylie Moore-Gilbert, chercheuse australo-britannique condamnée pour espionnage au profit d’Israël et libérée en 2020 après 2 ans de détention dans le cadre d’un échange de prisonniers avec 3 Iraniens liés à un projet d’attentat à Bangkok. La série n’hésite pas à briser un tabou. Dans une République islamique où la censure impose aux actrices d’être voilées en toutes circonstances, Charlotte, interprétée par une actrice de la minorité chrétienne arménienne, Béaïna Mahmoudi, apparaît tête nue dans plusieurs scènes d’intérieur. Alors que la saison 2 touche à sa fin, il est déjà question d’un 3ème volet, autour des négociations sur le nucléaire.