O. BACONNET (GroupM) : «Le consommateur fait évoluer ses usages à travers une offre qui devient illimitée»

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GroupM publie son Media Landscapes qui dresse un panorama de l’industrie des médias mais surtout analyse les signaux donnés par le marché mondial. Tour d’horizon avec Oliver BACONNET, Head of Trading chez GroupM.

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La fragmentation des médias a-t-elle été sous-estimée ?

Oliver BACONNET

En effet, car les couches de fragmentations se sont accumulées ces dernières années. Il y a dix ans, ce phénomène a été initié par Google via YouTube et par Facebook qui ont réussi à prendre du temps de consommation et à monétiser l’interaction sociale en l’absence de contenu. Aujourd’hui, la fragmentation s’accélère avec Netflix et l’ensemble des plateformes vidéo à venir. A cet égard, nous assistons à la monétisation d’un contenu en l’absence de publicité. Ce sont deux environnements très différents qui prennent en étaux les médias traditionnels comme la télévision. De son côté, le consommateur fait évoluer ses propres usages à travers une offre qui devient illimitée. Face à ce choix abondant, le public redistribue son temps disponible. Le patron de Netflix expliquait en 2018 que regarder une série sur sa plateforme revenait à entrer en concurrence avec son sommeil. Il y a quinze ans, Patrick Le Lay déclarait que TF1 vendait «du temps de cerveau humain disponible». Les rapports de force ont changé. Netflix tient aujourd’hui un discours similaire vis-à-vis de son audience sans créer le moindre émoi.

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Des mesures de régulation apparaissent. Est-ce lié à la mondialisation de l’audiovisuel ?

Oliver BACONNET

Bien entendu ! En France, il y a une évolution au travers de la future loi audiovisuelle. Cette dernière permettra de donner un peu plus de respiration aux médias locaux par rapport aux acteurs mondiaux qui n’ont pas de contraintes. Pour autant, ce nouveau cadre sera-t-il suffisant ? De notre point de vue, la loi ne permettra pas d’y répondre totalement. Le contournement par Facebook et Google de la loi sur les droits voisins est un bon exemple de l’impuissance réglementaire.

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L’impact des plateformes de streaming sur les acteurs audiovisuels traditionnels est significatif. Quelles évolutions percevez-vous ?

Oliver BACONNET

Beaucoup de nouvelles plateformes sont prévues sur la fin 2019 et en 2020. La plupart du temps, ce sont des modèles à souscription. Il va donc falloir payer pour accéder à plus de contenus. Pour payer, il faut que le pouvoir d’achat augmente lui aussi. En revanche, les signaux économiques ne sont pas extrêmement favorables en termes d’augmentation du niveau de vie des ménages. Des foyers abonnés à Netflix (qui sont peut-être déjà abonnés à Canal+, beIN SPORTS ou RMC Sport pour l’accès aux sports) vont-ils rajouter un abonnement à Disney+ ? La question se pose. Nous allons assister à une bataille entre plateformes payantes. Il y aura de la conquête mais aussi une forte part de redistribution d’abonnés. Elles vont donc devoir séduire et recruter des clients par l’offre. Et donc devoir investir plus encore dans des productions et des achats de programmes. Ce qui aura nécessairement un impact inflationniste sur les acquisitions. Et celui-ci se répercutera sur les chaînes TV qui verront elles aussi augmenter les coûts voire limiter leur capacité d’accès aux programmes à plus fort potentiel. Il faut s’attendre aux mêmes conséquences que sur les droits de diffusion d’événements sportifs, majoritairement payants désormais.

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La convergence des télécoms revient-elle en force ?

Oliver BACONNET

En France, l’exemple le plus significatif étant Altice, qui se place réellement comme un acteur de la convergence. Il se sert notamment de ses investissements dans les droits sportifs pour contribuer à son rebond dans l’acquisition de clients télécom. Mais plus largement, un opérateur doit être vu comme un distributeur de contenus. En maitrisant la partie distribution, on s’assure que ses propres contenus soient bien référencés et on détient une monnaie d’échanges à forte valeur auprès des autres acteurs de l’industrie.