Nathalie SONNAC, Co-fondatrice du CSAlab
Le CSAlab a dévoilé son rapport sur l’avenir de l’audiovisuel. L’organisme met alors en avant plusieurs scénarios possibles. L’occasion pour Média + de rencontrer Nathalie SONNAC, cofondatrice du CSAlab.
MEDIA +
Qu’est-ce que le CSAlab ?
NATHALIE SONNAC
Le CSAlab est un groupe de réflexion prospective réunissant des experts du numérique et de l’audiovisuel avec l’objectif d’anticiper et de caractériser les évolutions de l’économie et de la régulation audiovisuelle induite par la transformation numérique. Ses travaux permettent d’enrichir la réflexion du Conseil supérieur de l’audiovisuel, d’éclairer certaines de ses orientations et d’anticiper les évolutions du secteur qui pourraient influer sur ses activités.
MEDIA +
Cette année, le thème est « L’avenir, construire le meilleur». Qu’en ressort-il ?
NATHALIE SONNAC
Par un exercice de prospective, le CSAlab a identifié plusieurs évolutions possibles du paysage audiovisuel français. Pour atteindre le futur le plus «désirable», des leviers doivent être activés dès aujourd’hui pour que les effets attendus puissent être effectifs à l’horizon 2030. Le CSAlab participe ainsi au débat public en proposant des pistes d’actions pour les politiques publiques, dans le but notamment d’améliorer la compétitivité de nos entreprises nationales dans un marché ouvert et concurrentiel et soutenir un tissu créatif diversifié et de qualité.
MEDIA +
Vous mettez en avant trois scénarios possibles. Pouvez-vous nous les décrire ?
NATHALIE SONNAC
Les scénarios identifiés sont volontairement contrastés, afin d’envisager le meilleur comme le pire. Dans le scénario de fracture, celui des inégalités numériques et de la perte d’identité de l’audiovisuel, le monde numérique subit des fractures technologiques et sociales, et le secteur audiovisuel a échoué à conserver ses valeurs. Les acteurs de taille mondiale ont balayé les acteurs traditionnels et contrôlent la fourniture de contenus dont la qualité n’est plus maîtrisée. Une frange de la population, exclue du très haut débit fixe et mobile, n’a accès qu’à des services dégradés. Le contenu est proposé au téléspectateur par les nouveaux acteurs au travers d’algorithmes opaques sur lesquels il ne peut agir. Dans le scénario de continuité, c’est-à-dire le scénario attendu en l’absence d’évolution non anticipée à ce jour, le monde de demain ressemble globalement à celui d’aujourd’hui. Seuls ont évolué, mais dans la continuité de leur trajectoire actuelle, l’environnement technologique et les modalités d’usage. Les acteurs historiques se sont restructurés pour résister à la montée en puissance des GAFA, avec lesquels ils négocient un plus juste partage de la valeur. Enfin, dans le scénario de symbiose, l’audiovisuel historique a réussi son insertion dans l’univers numérique. Les technologies des réseaux et des terminaux assurent un accès «neutre» à tous les contenus, linéaires et non linéaires. Du point de vue de l’organisation du secteur, les acteurs forment ensemble un écosystème vertueux, caractérisé par des accords gagnant-gagnant pour le partage de la valeur et des données. Les algorithmes sont loyaux et transparents, l’humain peut agir dessus et satisfaire les attentes des téléspectateurs. L’offre est enrichie dans un environnement sain et efficace.
MEDIA +
Pour un avenir de l’audiovisuel encore meilleur d’ici 2030, vous mettez en avant 5 objectifs. Pouvez-vous les décrire ?
NATHALIE SONNAC
La mise en perspective de ces trois scénarios permet d’identifier différents jalons à poser pour atteindre cinq objectifs d’intérêt général pour le secteur et les Français. La production d’une offre de programmes diversifiés et de qualité est le premier objectif à atteindre (1). Pour ce faire, il faut assurer à la fois l’indépendance des créateurs et augmenter la capacité d’investissement de ceux qui financent la création. Ces offres doivent ensuite être accessibles par les consommateurs partout et sur tous les supports (2). Pour ce deuxième objectif, le déploiement des réseaux et la neutralité du net sont centraux mais ne suffisent pas: l’accessibilité passe aussi par les investissements des éditeurs dans la technologie, l’interface et l’expérience utilisateur afin de répondre au mieux aux attentes des consommateurs (3). Les quatrième et cinquième objectifs concernent la création de valeur (4) et sa répartition entre les acteurs. (5) La création de valeur, qui passe par le financement par la publicité des offres proposées gratuitement aux consommateurs et par l’achat ou l’abonnement pour les offres payantes, dépend en grande partie de la qualité de ces offres. Un rééquilibrage des rapports de force dans la répartition de cette valeur créée semble nécessaire pour prévenir la disparition des acteurs traditionnels au profit des plateformes et assurer le financement de la création en amont.
MEDIA +
Vous listez les 10 variables les plus influentes. La stratégie des GAFA arrive en première place. Faut-il se méfier de ces derniers ?
NATHALIE SONNAC
Les stratégies des GAFA et des acteurs audiovisuels étrangers de taille mondiale seront effectivement déterminantes pour l’avenir du secteur audiovisuel dès lors que ces derniers disposent de moyens financiers colossaux. En revanche, leur influence n’est pas nécessairement synonyme de pouvoir ou de force. Elle traduit surtout le fait que les acteurs locaux sont obligés de réagir aux stratégies de ces acteurs mondiaux, et de s’adapter aux évolutions. Mais ces jeux d’acteurs peuvent tout-à-fait être équilibrés si les conditions décrites plus haut sont réunies, et permettre aux acteurs traditionnels de bénéficier d’opportunités de développement (nouvelles fenêtres d’exposition, rémunération équitable des contenus, etc.).